Un mois d’érotisme punk à la Cinémathèque

Entre ses premiers films punks tournés en super-8 et son tout dernier long métrage, une comédie, le cinéaste torontois Bruce LaBruce est devenu une icône mondiale du cinéma queer, exposant toujours des pratiques sexuelles transgressives aux sous-textes politiques. La Cinémathèque québécoise lui offre, dès mercredi, sa rétrospective la plus exhaustive à ce jour.
Intitulé Tendre et transgressif, le programme porte bien son nom. On y présente autant de douces histoires d’amour que de courts métrages pornographiques abrasifs. Bruce LaBruce a en effet développé une carrière pornographique en parallèle de ses activités plus « traditionnelles ». Ce dernier ne fait d’ailleurs « aucune distinction entre l’art et la pornographie », dit-il, insufflant à tout son travail la même énergie créatrice.
« J’ai commencé à faire des films en documentant ce que mes amis faisaient. On s’inscrivait dans la scène punk, mais on voulait aussi dénoncer le sexisme, l’homophobie et le racisme qui y régnait », raconte Bruce LaBruce, en entrevue avec Le Devoir. Pour le cinéaste, les représentations de pratiques sexuelles marginales permettent de critiquer la répression politique et sociale des minorités.

No Skin Off My Ass (1991), son premier long métrage, a solidifié sa réputation à cet égard. Tourné en super-8, en noir et blanc, et avec un budget microscopique, le film raconte la relation trouble entre un narrateur joué par Bruce LaBruce lui-même et un jeune skinhead, interprété par son copain de l’époque. Ayant été présenté à de nombreux festivals, le film est vite devenu culte. Il aurait même été l’un des favoris de Kurt Cobain, selon certains.
Kitsch et terrorisme
« Je déteste la “tolérance” libérale. Mes films montrent frontalement des relations homosexuelles. Ça choque et ça dérange les gens dans leurs idées de ce qu’ils croient tolérer », explique le réalisateur. Il dit vouloir exposer la fétichisation de sous-cultures — comme des skinheads — ainsi que les relations de pouvoir qui en découlent.
« Revoir mes films au sein d’une telle rétrospective me permet de réaliser que j’ai toujours un peu fait la même chose. Entre No Skin Off My Ass et Saint-Narcisse (2020), il y a énormément de ressemblances », raconte Bruce LaBruce. Dans ce dernier film, il est entre autres question de la fétichisation de frères jumeaux — « un motif récurrent dans la pornographie », selon le cinéaste — et de « la vanité intrinsèque à l’identité homosexuelle », précise-t-il.
J’ai commencé à faire des films en documentant ce que mes amis faisaient. On s’inscrivait dans la scène punk, mais on voulait aussi dénoncer le sexisme, l’homophobie et le racisme qui y régnait.
Son cinéma se veut donc transgressif, mais il demeure d’une transgression ludique et colorée, empreint de motifs kitsch ou de références cinématographiques. Avec Super 8 ½ (1994), par exemple, il s’inspire du classique de Fellini, et en fait le récit semi-autobiographique d’un pornographe déchu.
Dans The Raspberry Reich (2004) — peut-être son magnum opus —, il met en scène un groupuscule terroriste d’extrême gauche queer. Satire d’une certaine « gauche caviar » hypocrite, le film mêle habilement la pornographie et l’iconographie propagandiste.
« J’ai toujours été fasciné par les groupes terroristes, comme la Fraction armée rouge qui a inspiré le film, ou le FLQ, ici au Québec », indique LaBruce.
Cinéphilie québécoise
Comme tous ses récents longs métrages, Saint-Narcisse a été tourné au Québec, et affiche une distribution majoritairement québécoise. « Ma relation avec le Québec est très riche et complexe », estime le cinéaste.
« Le cinéma québécois des années 1970 m’a beaucoup influencé. Très jeune, j’ai été marqué par Act of the Heart, de Paul Almond, avec Geneviève Bujold. Elle incarne une protestante à la sexualité réprimée, hantée par ses désirs. Tout le cinéma canadien de l’époque est marqué par un rapport tabou à la sexualité », affirme LaBruce.
C’est pourquoi la Cinémathèque présente également un volet « carte blanche » à sa rétrospective, où sept des films préférés du réalisateur seront en vedette. Act of the Heart y figure, aux côtés de classiques tels que Wanda (1970), de Barbara Loden, ou encoreOut of the Blue (1980), de Dennis Hopper, avec la chanson du même nom de Neil Young.
La rétrospective Bruce LaBruce : Tendre et transgressif est à l’affiche à la Cinémathèque jusqu’au 26 octobre. Son plus récent film, The Affairs of Lidia, y sera d’ailleurs présenté en première le 14 octobre, dans le cadre du Festival du nouveau cinéma.