Sus au «1%» et vive les cinémas au TIFF

L’acteur Daniel Craig sur le tapis rouge de la première du film «Glass Onion: A Knives Out Mystery», à Toronto
Photo: Tijana Martin La Presse canadienne L’acteur Daniel Craig sur le tapis rouge de la première du film «Glass Onion: A Knives Out Mystery», à Toronto

Au Festival international du film de Toronto, les films « les plus attendus de l’année » se succèdent. De telle sorte que la formule se révèle vite galvaudée. Or, c’est ainsi : la programmation du TIFF regorge de films dits « de prestige », que les studios espèrent voir concourir aux Oscar. De Slumdog Millionaire à Green Book en passant par The King’s Speech et Spotlight, maintes productions lancées au TIFF ont ultérieurement décroché l’Oscar du meilleur film. Ce cru-ci, Rian Johnson et Sam Mendes sont au nombre des aspirants avec Glass Onion: a Knives Out Mystery et Empire of Light, respectivement.

Gros succès surprise en 2019, Knives Out, en lice pour l’Oscar du meilleur scénario, avait instantanément remis au goût du jour l’auguste formule du « meurtre et mystère », ou « whodunit », perfectionnée naguère par la géniale Agatha Christie. Outre son intrigue joyeusement sinueuse, le film bénéficiait d’une distribution cinq étoiles qui, à l’évidence, s’amusait ferme. En bonus : un commentaire sur les classes sociales aussi aiguisé que les couteaux du titre.

Bref, avec le pactole récolté au box-office, une suite — voire plusieurs — s’imposait. Après avoir déboursé presque un demi-milliard pour les droits sur la série, voici que Netflix lance Glass Onion: a Knives Out Mystery.

Rian Johnson est de retour derrière la caméra et au scénario, et Daniel Craig rempile dans le rôle du détective privé Benoît Blanc, sorte d’Hercule Poirot hyperathlétique et sexy à l’accent vaguement sudiste. Comme c’est souvent le cas avec les suites, celle-ci opte pour la surenchère, ce qui s’avère en l’occurrence un choix en phase avec la nature quasi baroque du film.

Il y est question d’un magnat des technologies de pointe et des vieux amis — une aspirante sénatrice, une ancienne mannequin, un influenceur aux tendances masculinistes, un brillant chercheur — qu’il a invités sur son île grecque privée. Un meurtre survient, mais, là-dessus, on ne pipera mot à la demande du cinéaste. Déjà sur place, le fin limier Blanc mène l’enquête. Outre les Kathryn Hahn, Janelle Monae, Edward Norton, Leslie Odom Jr., Kate Hudson et Dave Bautista, une foule de vedettes viennent faire d’hilarantes apparitions spéciales.

Au niveau du sous-texte, voire du surtexte lorsqu’il prend l’envie à Rian Johnson de ne pas passer par quatre chemins (comme cette soudaine mais expertement intégrée allusion au mouvement #MoiAussi vers le dénouement), Glass Onion n’a pas à pâlir devant son prédécesseur. Dans ce film-ci, les richissimes représentants du « 1 % » de ce monde et leur entourage complaisant sont la cible du scénariste et cinéaste. Et comme ce fut le cas avec le premier opus, on rit, on se creuse les méninges, et on sort de la projection avec matière à réflexion.

Ode aux cinémas

 

Le plus récent film de Sam Mendes est quant à lui une lettre d’amour au cinéma et aux cinémas, dans la lignée de Cinéma Paradiso, de Giuseppe Tornatore, ou de The Long Day Closes, de Terence Davies. L’intrigue est en bonne partie campée dans un vieil établissement Art déco sis dans une ville balnéaire d’Angleterre, en 1981. Point de touristes en vue, cependant, puisque au-dehors, la morte-saison impose sa palette blafarde.

On suit Hillary (Olivia Colman dans une énième performance digne de toutes les récompenses imaginables), la gérante de l’Empire Theatre. Autour d’elle gravitent Norman, le projectionniste (Toby Jones), monsieur Ellis, le propriétaire (Colin Firth), et surtout Stephen (Michael Ward, une révélation), un nouvel employé avec qui Hillary entame une idylle contrariée.

Elle est plus âgée que lui, et elle est blanche, alors que lui est noir. En 1981, en ce pays comme dans bien d’autres, ces deux choses étaient mal vues. Qu’à cela ne tienne, Hillary plonge à corps perdu. Pour le compte, c’est Stephen qui subit davantage les contrecoups sociaux de leur relation.

Doté d’une direction photo typiquement splendide du collaborateur fréquent Roger Deakins, Empire of Light rappelle combien le réalisateur d’American Beauty, Road to Perdition, 007 Skyfall et 1917, est un formaliste doué. D’un point de vue formel, son plus récent film est une réussite. D’un point de vue narratif en revanche, il ne s’agit pas de son meilleur : le récit va dans trop de directions.

Instants de grâce

 

Entre les velléités de discours sociopolitique, avec allusions à la montée du mouvement skinhead et à certaines mesures impitoyables édictées par Margaret Thatcher, la bipolarité dont est atteinte Hillary (évoquée et jouée avec une poignante justesse), qui cesse à un moment de prendre son lithium, et le sort de l’Empire Theatre, pour ne nommer qu’une poignée de sujets se disputant la première place, le film peine à maintenir une réelle cohésion narrative.

Pour autant, Empire of Light se laisse regarder sans déplaisir, ne serait-ce que pour les instants de grâce que créent Olivia Colman et Michael Ward de-ci, de-là.

« Nous vivons à une époque extrêmement cynique, et ce film n’est absolument pas cynique », déclarait Sam Mendes avant la projection au TIFF.

Avec ce film hors du temps et de l’air du temps, le cinéaste semble affirmer que, tant que le cinéma existera, il sera toujours permis d’espérer un sort et un monde meilleurs. Quitte à se contenter d’en rêver en contemplant le grand écran.

Certes, c’est un brin naïf, mais le fait est qu’on ne demande pas mieux que d’y croire. Surtout dans le cadre d’un festival de cinéma.

Le film Glass Onion: a Knives Out Mystery prendra l’affiche en novembre et paraîtra sur Netflix le 23 décembre.
Le film
Empire of Light sortira le 9 décembre.

À voir en vidéo