«Je vous salue salope»: «elles vivent comme dans un film d’horreur»

Sept années auront été nécessaires pour que le projet de Léa Clermont-Dion et de Guylaine Maroist aboutisse. Le plus long, explique le duo, a été de convaincre les intervenantes de participer.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir Sept années auront été nécessaires pour que le projet de Léa Clermont-Dion et de Guylaine Maroist aboutisse. Le plus long, explique le duo, a été de convaincre les intervenantes de participer.

« Sale chienne », « féminazie », « t’es laide », « mange ma graine ». Elles sont nombreuses à encaisser chaque jour ces insultes lancées en ligne, qui s’attaquent directement à leur corps, à leur sexualité ou à leur intégrité dans l’unique but de les faire taire. Cette haine a un nom : c’est de la misogynie. Avec leur long métrage documentaire Je vous salue salope, les réalisatrices Léa Clermont-Dion et Guylaine Maroist souhaitent montrer, sans aucun filtre, la violence de ce phénomène et ses conséquences dans la vie des femmes qui en sont victimes.

« On veut que les gens comprennent, mais surtout qu’ils ressentent ce que ces femmes vivent, qu’ils se mettent dans leur peau, qu’ils vivent leur cauchemar », laisse tomber d’emblée Guylaine Maroist, rencontrée par Le Devoir en compagnie de Léa Clermont-Dion, une semaine avant la sortie officielle de leur film dans les salles de cinéma le 9 septembre.

Cette immersion, elle se fait surtout par le récit poignant de quatre femmes,aux parcours très différents, mais ayant toutes vécu de la misogynie en ligne pendant des années et vu cette haine traverser l’écran pour venir bouleverser leur quotidien.

Parmi ces femmes témoignant à l’écran, on retrouve l’ex-présidente du Parlement italien Laura Boldrini, sans cesse menacée de mort et de viol, et qui a même reçu un jour par la poste une balle de pistolet. Il y a aussi l’ex-politicienne afro-américaine Kiah Morris, qui, après avoir été harcelée et menacée en ligne pendant des années par des membres de l’extrême droite, a dû démissionner et déménager. La féministe et youtubeuse française Marion Seclin a pour sa part reçu plus de 40 000 messages sexistes et menaces de viol et de mort après avoir publié une vidéo sur le harcèlement de rue. Et Laurence Gratton, une enseignante québécoise, a été harcelée pendant cinq ans par un ancien camarade de classe.

« La vérité »

À travers leurs histoires, on comprend que ces insultes et ces menaces qu’elles recevaient au quotidien les ont plongées dans une peur continuelle d’être attaquées n’importe où, n’importe quand, dans la vraie vie. « Ces femmes-là, elles vivent comme dans un film d’horreur », fait remarquer Guylaine Maroist. C’est d’ailleurs dans cette ambiance que le duo de réalisatrices a voulu plonger les spectateurs, en utilisant abondamment les images choquantes, les mots obscènes et la musique angoissante.

« Pourquoi préserver le public alors qu’on en voit tellement, des messages de haine comme ça ? Ce serait hypocrite de notre part, souligne Léa Clermont-Dion. C’est la vérité qu’on est allées chercher, qu’on veut montrer. »

​Outre ces quatre principaux témoignages, le documentaire donne la parole à Glen Canning, dont la fille, Rehtaeh Parsons, s’est enlevé la vie après avoir été violée et avoir vu les images de son agression devenir virales sur la Toile.

Pour documenter au mieux le phénomène, les réalisatrices sont aussi allées à la rencontre de différentes expertes, dont nulle autre que l’autrice et spécialiste de la misogynie en ligne Donna Zuckerberg, qui est aussi la soeur de Mark Zuckerberg, fondateur de Facebook. Cette dernière, que l’on voit rarement à l’écran, n’hésite pas à critiquer le manque d’action des plateformes numériques, dont celle de son frère, en matière de cyberharcèlement et de messages haineux.

Car c’est l’un des principaux problèmes : les dirigeants des plateformes numériques comme Instagram, Facebook, YouTube ou Twitter promeuvent l’idée qu’on peut s’exprimer librement sur leur réseau social, fermant ainsi les yeux sur l’explosion de la haine en ligne. Quant aux corps policiers, les lois leur donnent rarement la possibilité d’agir pour y mettre fin et arrêter les coupables.

Pourquoi préserver le public alors qu’on en voit tellement, des messages de haine comme ça? Ce serait hypocrite de notre part. C’est la vérité qu’on est allées chercher, qu’on veut montrer.

« Pour que les choses changent, il faut sensibiliser les gens à ce phénomène grave. On souhaite que notre film soit utilisé comme un outil de prévention, d’éducation pour contrer la banalisation de la misogynie en ligne », espère Léa Clermont-Dion.

Travail de longue haleine

 

Ravies de voir enfin leur documentaire sortir sur grand écran, les deux femmes ne cachent pas avoir abattu un travail titanesque pour en arriver là. « La genèse remonte à 2015, explique Léa Clermont-Dion. Je voyais qu’il y avait un inconfort grandissant en ligne avec les femmes qui parlaient publiquement. J’avais moi-même vécu des attaques sexistes parce que je prenais la parole sur des enjeux politiques. Je voulais creuser la question et j’ai approché Guylaine. »

Sept années auront été nécessaires pour que le projet aboutisse. Le plus long, explique le duo, a été de convaincre les intervenantes de participer. « Faire un documentaire comme ça, ça a l’air de rien, mais c’est du temps, c’est de l’énergie pour les intervenantes. On les suit longtemps, on entre dans leur intimité, on brasse des affaires, souligne Guylaine Maroist. Il y a aussi la réticence à être considérée juste comme une victime, certaines ne veulent pas être associées uniquement à cet événement de leur vie. »

Les réalisatrices ont aussi dû faire face à de nombreux refus et à des désistements à la toute dernière minute de certaines femmes qui craignaient pour leur sécurité.

« On comprend. Nous aussi on a eu un peu peur à un moment donné », confie Léa Clermont-Dion, expliquant que le duo a reçu des appels anonymes étranges lorsque le projet a été annoncé publiquement.

Les deux femmes ont également vécu de la misogynie en ligne par le passé, qui, sur le coup, a eu pour effet de les freiner à s’exprimer publiquement.

« Des histoires comme ça, on en a toutes vécu, affirme Guylaine Maroist. Il suffit de regarder les nouvelles pour constater la multiplication des cas de cyberviolence, fait-elle remarquer. Et de plus en plus, ces violences traversent l’écran, on l’a vu avec le cas de la vice-première ministre Chrystia Freeland dernièrement. C’est préoccupant, et ça rend notre long métrage encore plus d’actualité que jamais. »

 

Je vous salue salope prend l’affiche en salle le 9 septembre.

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