«En attendant Bojangles»: sur un air de Nina Simone

« Quand la réalité est banale et triste, inventez-moi une belle histoire. » Voilà ce qui réunit un jour Camille et Georges, et qui guide leur vie de plaisirs et l’éducation de leur fils, Gary. Fêtes, danse et mensonge mettent leurs existences au diapason de la fantaisie de Camille, dont le besoin d’euphorie frise la folie. Toujours plus. Puis, un jour, Camille va trop loin.
Transposer à l’écran un succès littéraire n’est pas une mince affaire. Le réalisateur du salué Populaire, Régis Roinsard, s’attaque ici au roman d’Olivier Bourdeaut En attendant Bojangles (Gallimard, 2016), dont il propose une adaptation juste assez libre pour laisser place à ses lubies et envies. Et Roinsard met le paquet dès la séquence d’ouverture, lancée par un plan long très maîtrisé, tout en fougue et en charme. Les mouvements de caméra fluides tirent le spectateur par le bout du nez, et ce dernier se laisse faire avec plaisir. Le réalisateur, qui, pour satisfaire son goût prononcé pour les années 1950-1960, campe le film à cette époque, égraine en prime des clins d’oeil à des factures typiques de l’âge d’or hollywoodien. De quoi cajoler le spectateur nostalgique d’Ingrid Bergman.
Un régal de répliques
C’est dans cette folie douce que le réalisateur nous fait faire la connaissance du couple plein d’esbroufe formé par Romain Duris et Virginie Efira. On se délecte de leur joute mythomane tandis qu’ils dansent un tango devant la mer, et de leur entrain irraisonné. Cela, on le doit au scénariste Romain Compingt, déjà à la tâche pour Populaire, qui montre une fois encore son talent. Chaque réplique, ou presque, est un régal. D’ailleurs, les punchlines, à mi-chemin entre le second degré façon OSS117 et la philosophie absurde, foisonnent. Il nous aura fallu attendre Bojangles pour découvrir qu’il y a deux catégories de personnes à éviter absolument : les végétariens et les cyclistes professionnels. « Les premiers parce qu’un homme qui refuse de manger une entrecôte a certainement dû être cannibale dans une autre vie. Les seconds parce qu’un homme chapeauté d’un suppositoire qui moule grossièrement ses bourses dans un collant fluo pour gravir une côte est forcément quelqu’un de dangereux. »
Le jeu de la danse
Pour un drame, il ne manque pas d’humour, ce Bojangles. Ni de panache, notamment à travers les nombreuses scènes dansées. Sur une bande originale entraînante, Roinsard sublime les talents de danseur de Duris à chacun de ses pas. Seule fausse note : la chanson de Nina Simone Mr. Bojangles (à laquelle roman et film doivent leur titre) aurait pu occuper une plus grande place dans la trame sonore du film. Quand bien même, Duris nous hypnotise assez pour qu’on en fasse fi.
Outre sa prestation dansée, l’acteur déroule une palette de jeu remarquable. Celle-ci prend toute sa puissance dans le drame, que Duris restitue avec justesse et mesure. Efira, quant à elle, étincelle en mère fantasque qui perd progressivement le contact avec la réalité. Le tout jeune Solàn Machado-Graner fait presque de l’ombre aux deux stars grâce à son interprétation de Gary. On voudrait presque adopter ce bambin qui parle comme un adulte tant il est attachant. D’ailleurs, les scènes filmées à hauteur d’enfant sont parmi les plus réussies.
Malgré ses belles qualités, le film est écorné par ses longueurs qui plombent le visionnage. L’intrigue prend du temps à se mettre en place. Et, comme si le réalisateur s’essoufflait de ces longueurs, sa mise en image a tendance à baisser en qualité au fil du film. Le panache du début s’estompe pour laisser place à une réalisation plus classique. Il n’en reste pas moins que ce long métrage nous propose une superbe histoire familiale et d’amour.