Grogne chez les distributeurs de films indépendants

Les distributeurs indépendants contestent le financement public octroyé à Patrick Roy pour mettre sur pied sa nouvelle entreprise, deux mois après que Les Films Séville, qu’il dirigeait, eurent mis fin abruptement à leurs activités dans les salles de cinéma. Ils craignent que l’ancien numéro un de la distribution de films au Québec ait bénéficié d’un passe-droit auprès du gouvernement et des bailleurs de fonds.
Le Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec remet en question entre autres la participation financière d’Investissement Québec, qui ne vient pas d’ordinaire en aide aux distributeurs de films. « Je n’ai aucun problème à ce qu’il lance une nouvelle entreprise, au contraire, ça montre qu’il y a de l’action dans notre industrie. Mais il faut que ce soit fait de façon juste et équitable pour tous les joueurs. Et que toutes les règles s’appliquent à tout le monde. C’est ça, l’enjeu de notre côté », précise en entrevue au Devoir Chantale Pagé, la présidente du Regroupement.
Outre Investissement Québec, la nouvelle compagnie de Patrick Roy, qui n’a pas encore de nom, jouit du soutien financier de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC). Des partenaires privés se sont aussi joints au projet, comme la Banque Nationale et des fonds régionaux de solidarité FTQ.
L’annonce a été faite vendredi, en toute fin d’après-midi, à quelques heures du déclenchement de la campagne électorale. Un moment étrangement choisi pour une telle annonce, laisse entendre Mme Pagé. « Est-ce que c’était vraiment une annonce ? Il n’y a pas de nom, pas d’équipe, pas de film… Tout ça est très discutable et on va vouloir avoir des réponses [de la part du gouvernement] », ajoute celle qui dirige également la compagnie de distribution Maison 4:3.
Quid du catalogue
Ce n’est pas la première fois que Patrick Roy trouve les distributeurs indépendants sur son chemin. Le rachat des Films Séville par le groupe torontois eOne en 2007 avait fait plusieurs mécontents dans l’industrie. Puis, la fusion en 2013 de Films Séville avec son principal concurrent, Alliance Vivafilm, avait soulevé des craintes face à l’avènement d’un tel géant dans le monde de la distribution.
Pendant des années, Les Films Séville auront été de loin le plus important distributeur de films québécois dans les salles de cinéma. La compagnie a annoncé du jour au lendemain à la fin juin cesser la distribution de films en salle au pays, ce qui a eu l’effet d’une bombe dans le milieu.
Car Les Films Séville possédaient toujours les droits de distribution de plusieurs films québécois à succès, comme Mommy, Bon cop, bad cop, La grande séduction, Incendies ou encore Starbuck. Ce riche catalogue pourrait aujourd’hui être administré depuis les États-Unis, puisque eOne fait maintenant partie du géant américain Hasbro. « Ça fait deux mois qu’on demande au ministère ce qu’il va advenir du catalogue, et on n’a pas de réponse », regrette Chantale Pagé, qui s’inquiète que les droits de nombreux classiques du cinéma québécois tombent entre les mains d’étrangers.
Rencontre la semaine prochaine
Le cabinet de la ministre de la Culture, Nathalie Roy, a finalement consenti, lundi en fin de journée, à rencontrer les distributeurs indépendants la semaine prochaine, en pleine campagne électorale. Le Regroupement a ainsi renoncé pour le moment à l’idée de faire une sortie publique en règle contre l’entente.
A-t-on craint à la CAQ que cette sortie ne vienne plomber le début de la campagne ? Chose certaine, le ministère de l’Économie et de l’Innovation, qui a piloté le dossier, assume avoir voulu épauler l’ancien dirigeant des Films Séville dans le lancement de sa nouvelle entreprise. « Patrick Roy oeuvre dans le milieu de la distribution de films depuis plus de 25 ans, et il est bien placé pour continuer d’offrir, par l’entremise d’une nouvelle entité, des services de financement et de distribution de haut calibre au bénéfice des producteurs de cinéma québécois », fait-on valoir.
Le ministère de l’Économie nous apprend également que Patrick Roy s’est engagé, en vertu de cette entente, à assurer la distribution des quelques longs métrages québécois qui devaient sortir en salle avec Les Films Séville dans les prochains mois.
Investissement Québec a accordé une contribution financière sous forme d’actions privilégiées de 1,25 million de dollars pour la nouvelle entité de Patrick Roy, en plus d’un prêt d’un montant maximal de 1,5 million de dollars. La SODEC, elle, n’était pas en mesure de chiffrer sa participation, étant donné que l’argent provient de sa « banque d’affaires », et non d’un programme de subvention.
Quant à Patrick Roy, il a tenu à faire savoir qu’il n’a pas profité d’un traitement de faveur. « Je me réjouis d’avoir pu convaincre des groupes solides de m’appuyer. J’ai cogné à la porte de différents partenaires, qui sont accessibles à tous. Ces gens ont accepté d’investir dans un projet dans lequel ils croient. C’est une décision d’affaires, rien d’autre », peut-on lire dans un courriel transmis au Devoir.