«Un été comme ça», au-delà de la sexualité

« Denis Côté est un anthropologue du cinéma. » C’est dans ces mots que Larissa Corriveau — muse du réalisateur — décrit l’expérimentation continue et vertigineuse que représente leur collaboration artistique. « À chaque projet, il se commet dans une forme inédite et explore des thèmes qui lui permettent de se mettre en danger. »
Après Répertoire des villes disparues (2019), fable sur la quête identitaire et la peur de l’autre, et Hygiène sociale (2021), comédie pastorale sur l’échec masculin, les deux artistes se retrouvent pour un autre projet inclassable, qui sonde — en quelques mots réducteurs — la détresse et l’enchantement de la sexualité féminine.
En l’espace de 26 jours, trois femmes, Geisha (Aude Mathieu), Léonie (Larissa Corriveau) et Eugénie (Laure Giappiconi), sont invitées en maison de repos pour explorer leur relation problématique ou conflictuelle avec la sexualité. Sous la supervision d’une thérapeute (Anne Ratte-Polle) et d’un travailleur social (Samir Guesmi) eux aussi pétris de contradictions, elles tenteront d’apprivoiser leurs démons, de jeter un regard nouveau sur elles-mêmes et de considérer l’avenir.
Le film donne donc à voir les pensées, les souvenirs, les élans, les fantasmes de trois femmes à la fois fragiles et pleinement assumées, brisées et vivantes ; trois femmes extirpées de leur quotidien pour s’en inventer un nouveau, teinté d’introspection et de lâcher-prise.
Faire ses devoirs
Denis Côté s’est entouré de femmes — et de sexologues — pour mener ce projet avec le plus d’authenticité et de sensibilité possible, notamment en ce qui touche au scénario et au montage. Les trois têtes d’affiche, qui ne sont rien de moins qu’époustouflantes, rappellent continuellement en entrevue avec Le Devoir le rapport de confiance qui s’est établi bien avant le début du tournage ; un sentiment essentiel pour rendre justice aux personnages et entrer dans les zones de grande vulnérabilité qu’exigeait le film.
Le jeu est une mise à nu : tout, de la nudité au rire, doit avoir une justification. Ici, le sexe est accessoire aux gouffres émotionnels que l’on devait explorer en tant qu’actri-ces. J’ai tout de suite fait confiance à la voix de Denis, à sa vision.
« La collaboration était fondée sur le dialogue, relate Aude Mathieu. On a construit ces personnages à partir de nos conversations, on a eu la liberté de poser un regard critique et d’apporter nos suggestions. » « Je pense qu’il y a une scène que je n’étais pas à l’aise de faire, et Denis a accepté tout de suite de la retirer », renchérit Larissa Corriveau.
La sexualité est une constante, une trame de fond — on voit les filles se masturber, s’offrir à des inconnus, revendiquer leurs fantasmes, analyser et vivre leur relation au sexe. Délestée de toute volonté d’érotisation ou d’esthétisation du corps féminin, la sexualité devient un judicieux prétexte pour accéder à l’intimité.
« Le jeu est une mise à nu : tout, de la nudité au rire, doit avoir une justification, indique Laure Giappiconi. Ici, le sexe est accessoire aux gouffres émotionnels que l’on devait explorer en tant qu’actrices. J’ai tout de suite fait confiance à la voix de Denis, à sa vision. »
Déconstruire ses préjugés
Bien qu’il soit encore tabou pour une femme de parler de ses désirs, de sortir du cadre monogame, de devenir sujet plutôt qu’objet, la sexualité est partie prenante de l’identité. Elle est révélatrice du vécu, des failles, des blessures, des rêves et des amours que chacun porte à l’intérieur de soi et qui définissent son rapport aux autres, aux cadres et à l’imaginaire. Ici, la sexualité est tendue comme un miroir à la société et à l’intimité de chacun.
« Il est rare qu’un film sur la sexualité ne prenne pas position, n’indique pas clairement qui est la victime et qui est le bourreau, souligne Larissa Corriveau. En n’offrant aucune réponse, Un été comme çanous force, autant comme spectateur que comme actrice, à assister à la formation de nos jugements de valeur et à déconstruire nos préjugés. »
Certaines scènes soulèvent en effet un tas d’émotions contradictoires et de remises en question. C’est le cas, notamment, lorsque le personnage de Léonie participe à une séance de Shibari, une pratique sexuelle autant qu’une forme d’art, dans laquelle une personne est suspendue dans les airs par son partenaire à l’aide de cordes, et se retrouve dans l’impossibilité de bouger. Ou lorsque Geisha effectue des fellations à la chaîne, par choix, à toute une équipe de soccer.
Il est rare qu’un film sur la sexualité ne prenne pas position, n’indique pas clairement qui est la victime et qui est le bourreau. En n’offrant aucune réponse, Un été comme ça nous force, autant comme spectateur que comme actrice, à assister à la formation de nos jugements de valeur et à déconstruire nos préjugés.
« On a le réflexe de porter un jugement sur Geisha, de se demander ce qui a dû lui arriver dans la vie pour qu’elle se rende là. Or, on ne se pose pas de question sur les gars, sur leur éthique dans tout ça. Ça révèle beaucoup de contradictions », pointe Aude Mathieu.
Des individus à part entière
Pour confronter leurs propres idées reçues et atteindre une vérité dans l’interprétation, les actrices ont rencontré des sexologues, des psychiatres et des prostituées. Toutes les trois sont arrivées au même constat.
« Les professionnels nous ont rappelé que ce sont d’abord des individus que l’on allait interpréter, qu’on ne trouverait pas de réponse toute faite en analysant des cas de figure ou en tentant de figer nos personnages dans une case. C’était très libérateur », estime Aude Mathieu.
« Denis, comme scénariste, n’a pas la prétention de créer un symbole. Léonie ne représente pas toutes les victimes d’inceste. Elle a sa vie, son individualité, son cheminement propre. Comme actrice, on a la responsabilité de rendre justice à ces traumas, sans perdre de vue qu’il n’y a pas qu’une seule façon d’y faire face. On peut avoir une réaction de rejet devant son histoire, mais le film nous force à la décortiquer, à comprendre d’où vient notre manque de tolérance. Ce n’est pas de l’ordre de la morale, mais de l’ordre de l’intime, puisqu’il nous renvoie à nos propres peurs et à nos propres failles », conclut Larissa Corriveau.
Le long métrage Un été comme ça, de Denis Côté, prend l’affiche le 19 août.