«Les tricheurs»: le terrain de golf comme microcosme

« Pour [le golfeur], la balle n’est rien de moins que du destin en concentré. Il la frappera comme il aborde la vie en général, pour l’occasion condensée là, à ses pieds, en un point blanc », écrivait Louis Godbout, dans Du golf. Parcours philosophique (LIBER), un essai publié dans la foulée de l’obtention de son doctorat en philosophie, en 2007.
Pour celui qui est désormais scénariste et cinéaste, le terrain de golf constitue une parfaite réplique de la société ; un microcosme qui en contient tous les travers, les valeurs et les contradictions, tous plus ou moins logiques, régis par des étiquettes et des cadres contraignants. On y croise des joueurs aux multiples visages, affichant, devant la cible, la fierté du paon, la confiance du lion, la fourberie du serpent, l’intelligence du renard ou la nervosité du cerf.
« C’est ma grand-mère qui m’a initié [au golf] quand j’étais petit, raconte le cinéaste. Comme tous les golfeurs, je suis inspiré par ma pratique, mais je suis aussi un traître, parce que le golf me semble une espèce de comédie perpétuelle. Tout le monde joue au golf — j’ai joué avec des prêtres, avec des chanteurs d’opéra — et tout le monde triche. Si tu veux te moquer de la nature humaine, de la duplicité, de l’hypocrisie et de la bullshit, c’est le sport parfait. »
L’intelligence de la farce
Dans Les tricheurs, son second long métrage, le cinéaste exploite ce côté burlesque pour composer une comédie satirique grinçante et ingénieuse, où les personnages ne sont jamais tout à fait ce qu’ils prétendent être, et où la vérité chemine obstinément vers la lumière.
Hubert (Benoît Gouin) et André (Steve Laplante) sont deux amis et partenaires d’affaires dans le milieu des soins aux personnes âgées. Par un bel après-midi, ils se donnent rendez-vous pour une partie de golf avec Florence (Christine Beaulieu), la copine du premier, un croisement entre Paris Hilton et une coach de vie zen.
Leur séance est perturbée par l’arrivée de Michel (Alexandre Goyette), un quatrième joueur charismatique à la carrure imposante. Cette interruption à l’apparence fortuite prendra vite des allures de règlement de comptes, la mère de Michel ayant perdu la vie dans une des résidences pour aînés des deux entrepreneurs. Lentement, les langues se délient et le vernis des apparences se dissipe.
Les acteurs du film ne tarissent pas d’éloges sur l’intelligence du réalisateur et de son scénario. « Lorsque j’ai rencontré Louis, j’ai tout de suite eu envie de me mettre au service de son idée, soutient Christine Beaulieu. Sa proposition ne ressemblait à rien de ce que j’avais déjà vu ou lu. Je lui ai fait totalement confiance. Heureusement, car pour moi, jouer l’ingénue sexy et assumée, c’est très fragilisant. Je me sens beaucoup plus à l’aise avec mon personnage dans Cerebrum, protégé par son manteau d’hiver. »
Benoît Gouin, de son côté, ne devait pas participer au film, à cause d’un conflit d’horaire. « J’ai fait l’erreur de lire le scénario. J’ai tout de suite dit : “Bouge pas, on va s’arranger !” Il y a plusieurs couches, à l’histoire comme au personnage. Le terrain de golf n’est pas juste un prétexte, ça devient vraiment une métaphore de l’humanité, avec les trappes de sable, le vent, les éléments, la forêt qui représente l’inconscient. C’est drôle et profondément intelligent ! »
Se servir d’un terrain de golf comme théâtre d’un huis clos comporte son lot de défis, et ce, bien que le tournage au grand air ait atténué les restrictions sanitaires. « On a tourné durant tout le mois d’août une partie de golf qui se déroule en un seul après-midi. On s’attendait à de belles températures stables. Finalement, on a eu toutes sortes de météos : de l’orage, de la grêle… Le directeur photo a fait des miracles avec la coloration, en postproduction. On s’est aussi arrangé pour cadrer de façon prudente, éviter les bouts de ciel et effacer les ombres », raconte le cinéaste.
Gros plan sur les travers de la société
Comme dans son film précédent, Mont Foster (2020), Louis Godbout explore les circonstances où les gens se transforment, révélant ce qui se cache à l’intérieur d’eux-mêmes. Il manie la tension d’une main de maître, se joue des apparences et se sert de l’exagération et du grotesque que permet la farce pour peupler son univers d’éléments décalés et inquiétants, plaçant avec humour les personnages comme les spectateurs devant leurs propres contradictions.
Alors que Florence représente certains stéréotypes de la femme fatale, les trois hommes endossent chacun des visages différents de la masculinité telle qu’elle est construite par la société — le macho, fier, puissant et en contrôle ; l’homme fort, imposant, violent ; et le faible, incapable de séduire, voué à l’échec et au déshonneur.
Plus le film avance, plus les masques tombent, et plus les archétypes s’éloignent de la caricature, engageant une réflexion sur les conséquences de cette masculinité toxique sur la société, et sur les hommes eux-mêmes. Les acteurs, tous excellents, jouent avec cette tension perpétuelle pour construire des personnages intrigants et authentiques, et pour incarner une forme de dualité, en rendant manifeste ce qui est sous-jacent et gronde à l’intérieur de chacun.
« C’était un véritable cadeau à jouer. Mon personnage, par exemple, est bête à sa façon, mais il est aussi profondément honnête, relève Benoît Gouin. #MeToo, les Innus, les énergies renouvelables, il s’en fout. Ça ne le touche pas et il l’assume. Ce qui l’émeut, c’est d’offrir une belle fin à ses vieux. Et s’il peut faire ça avec des robots et des pilules, il se lance, même si c’est douteux à souhait. Il y a quelque chose de grinçant, de savoureux là-dedans, parce que c’est un peu vrai. »
La conclusion — dont on ne révélera rien — est surprenante et absolument savoureuse, à la hauteur de l’ambition satirique et philosophique de Louis Godbout. À voir !
Le film prendra l’affiche le 12 août.