«Arlette», un projet truffé de pièges

Le récit peine à éviter les pièges de la caricature pour offrir la substance et l’intériorité qui permettraient au public de s’identifier à la quête des personnages. Dans sa direction, Mariloup Wolfe parvient tout de même à immortaliser des moments de vérité. Sur notre photo, les acteurs Maripier Morin et Paul Ahmarani.
Photo: Les Films Opale Le récit peine à éviter les pièges de la caricature pour offrir la substance et l’intériorité qui permettraient au public de s’identifier à la quête des personnages. Dans sa direction, Mariloup Wolfe parvient tout de même à immortaliser des moments de vérité. Sur notre photo, les acteurs Maripier Morin et Paul Ahmarani.

Dans une scène marquante du film Arlette, troisième long métrage de Mariloup Wolfe, Maripier Morin, affublée d’un corset scintillant, d’une culotte, d’un collet et d’une cape bleu royal, est photographiée sur un trône, sceptre à la main. L’image — qui se retrouve en première page d’un magazine d’actualité — est titrée « La culture, c’est moi », en référence à la phrase apocryphe attribuée à Louis XIV « l’État, c’est moi ».

Cette anecdote pourrait à elle seule résumer ce que les artisans du film ont essayé de créer : une satire ponctuée d’images référentielles, où la critique sociale est rehaussée par une bonne dose d’érudition et d’intertextualité, le tout sans perdre de vue un public avide de rires et de divertissement.

Autant dire qu’ils se sont échinés à creuser leur propre précipice tant l’ambition était vaste et truffée de pièges.

Arlette Saint-Amour (Maripier Morin), créatrice et directrice d’un magazine de mode, est approchée par le premier ministre du Québec pour rajeunir l’image de son gouvernement. Manipulée tel un pion sur un échiquier, elle se retrouve du jour au lendemain ministre de la Culture — « ministre de rien », comme on aime lui rappeler à l’Assemblée nationale.

C’était sans compter l’audace et la détermination de la jeune femme. En quelques mois, grâce à son allure et à son franc-parler, elle parvient à créer un véritable engouement autour de la culture, à faire rayonner les artistes et le livre, sans égard pour le budget, les convictions néolibérales et l’immense pouvoir de son collègue des Finances. S’engage alors une lutte sans merci entre deux visions du monde, deux personnalités et deux générations — une lutte dictée par le pouvoir de l’image et la capacité à prendre des coups.

La prémisse ne fait pas dans la demi-mesure pour démontrer les défis et préjugés auxquels fait face une femme projetée dans un milieu d’hommes, tout en faisant l’étalage des absurdités qui règnent dans le monde politique. Les boys’ clubs, le sexisme, la misogynie, le fardeau de la beauté, le néolibéralisme, le déficit zéro, la corruption des élites et l’hypocrisie des artistes sont tous effleurés à un moment ou l’autre. Les réflexions, bien qu’intéressantes, auraient mérité d’être davantage creusées.

Flamboyance versus vérité

 

Tourné dans les couloirs de l’Assemblée nationale, le film cherche à embrasser la superficialité pour mieux la donner en pâture, notamment en multipliant les parallèles entre l’univers politique québécois et la cour du palais de Versailles ou, aléatoirement, de Buckingham.

Des airs baroques, expressifs et grandiloquents de Vivaldi, Bach et autres ouvrent les scènes ; ils sont couronnés — un peu à la manière de Bridgerton, la série à succès de Netflix — de la voix imposante et envoûtante de Gilbert Sicotte. Les décors et les costumes sont flamboyants. La caméra s’attarde sur les fresques grandioses, multiplie les plans larges vertigineux et tire profit de l’éclairage tamisé pour sublimer l’endroit, sans toutefois réussir complètement à faire oublier l’austérité du Salon bleu.

Le récit peine aussi à éviter les pièges de la caricature pour offrir la substance et l’intériorité qui permettraient au public de s’identifier à la quête des personnages (ou à tout le moins de s’y investir). Même l’héroïne ne dispose que de quelques scènes parsemées ici et là — et somme toute peu utiles — pour offrir un aperçu de son parcours, de ses valeurs et de sa vie personnelle. Ironique pour un film qui cherche à expliciter le gouffre qui existe entre la femme et la politicienne.

Le choix du public

 

Dans sa direction, Mariloup Wolfe parvient malgré tout à immortaliser des moments de vérité et à mettre en valeur le talent d’acteurs de la trempe de Paul Ahmarani, Antoine Bertrand et Benoît Brière. Dans le rôle-titre, Maripier Morin tire son épingle du jeu et fait preuve d’un naturel qui éclipse la femme derrière l’actrice.

Cet effacement est toutefois de courte durée. Une fois le générique bouclé et l’attention revenue sur la vedette, il est difficile de ne pas voir le personnaged’Arlette comme un miroir tendu à la comédienne — qui s’était ces dernières années retirée de la vie publique, visée par des allégations de harcèlement sexuel, d’agression physique et de racisme — comme à la société.

La production, en choisissant de faire passer le talent de l’actrice avant son histoire personnelle, pose délibérément la question au public : peut-on séparer l’art de l’artiste ? On verra la réponse en salle.

Arlette

★★ 1/2

Comédie dramatique de Mariloup Wolfe. Avec Maripier Morin, Gilbert Sicotte, David La Haye, Paul Ahmarani. Canada, 2022, 118 minutes. En salle.

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