«Arlette», ou le poids d'une satire

Mariloup Wolfe a fait appel à Maripier Morin et David La Haye pour jouer dans son troisième long métrage tourné, en partie, à l’Assemblée nationale.
Photo: Valérian Mazataud Le Devoir Mariloup Wolfe a fait appel à Maripier Morin et David La Haye pour jouer dans son troisième long métrage tourné, en partie, à l’Assemblée nationale.

Dans Arlette, le troisième long métrage de Mariloup Wolfe, une directrice de magazine de mode est approchée par le premier ministre du Québec pour rajeunir l’image de son gouvernement et prendre les rênes du ministère de la Culture. La route sera loin d’être paisible pour Arlette Saint-Amour, qui, aidée de son attaché de presse, devra mener une bataille pour la survie du livre québécois — et prouver par le fait même qu’elle ne se résume pas à l’image de jeune et sublime écervelée que souhaitent lui accoler ses collègues de l’Assemblée nationale.

Cette histoire, qui semble de prime abord un tantinet tirée par les cheveux, relève en quelque sorte d’un fait vécu. Car la scénariste du film, Marie Vien, par un curieux hasard de la vie, a elle-même chaussé pendant quelques années les souliers d’attachée de presse de Liza Frulla, ministre libérale de la Culture au début des années 1990.

« Je n’avais absolument aucune des compétences pour occuper ce poste, mais j’ai accepté. Je me suis retrouvée au coeur d’un monde en ébullition, avec la mise en place d’une première politique culturelle au Québec, la réforme de la Société de développement des entreprises culturelles et la naissance du Conseil des arts et des lettres du Québec. C’était effervescent. »

Or, ce que Marie Vien retient, surtout, de son passage à l’Assemblée nationale, c’est cette impression d’être chaque jour catapultée directement à la cour de Louis XIV. « Les rituels et le décorum sortis tout droit d’une autre époque, l’importance du paraître et de l’image des politiciens, l’ambiance monarchique, les rôles préétablis que chacun doit jouer à la perfection… J’avais envie de traduire tout ça dans une histoire qui serait à la fois moderne et intemporelle, qui parlerait d’enjeux contemporains et de ce qui définit la nation québécoise. »

Le tout prend la forme d’une comédie satirique et critique grandiloquente tissée de clins d’oeil intertextuels, où chaque personnage représente un archétype de la cour royale et où les répliques assassines s’inspirent de Rabelais, de Voltaire ou encore de Simone de Beauvoir. Passent à l’échafaud les boys clubs et la masculinité toxique, la réduction des femmes à leur apparence, le néolibéralisme et son sacro-saint déficit zéro, la corruption et l’hypocrisie des univers politique et culturel.

Des défis de taille

 

Un scénario chargé, donc, sur lequel Marie Vien a travaillé près de 10 ans — et pour lequel elle a essuyé plusieurs refus — avant qu’il atterrisse entre les mains de Mariloup Wolfe.

« On m’a approchée juste avant Noël, à quelques jours du dépôt des demandes de subvention pour les projets cinématographiques, raconte la cinéaste. J’avais 24 heures pour donner ma réponse. J’ai rencontré Marie. On a discuté pendant des heures et des heures de sa vision, de cette idée de l’Assemblée nationale comme la cour de Versailles, de toutes les références cachées dans son texte. C’était tellement imagé, je me suis tout de suite mise à avoir des idées. Je sentais aussi que j’étais la bonne personne pour raconter l’histoire d’une fille propulsée dans un milieu d’hommes. »

Comme son Arlette, la réalisatrice a sauté à pieds joints dans l’aventure, sans vraiment mesurer l’ampleur des défis auxquels elle ferait face. Le long métrage de fiction est notamment le premier à être tourné à l’Assemblée nationale depuis I Confess (La loi du silence, 1953), d’Alfred Hitchcock, un processus qui a demandé près d’un an de préparation et de négociations. « C’était un véritable casse-tête, surtout en temps de COVID, d’y faire entrer 300 personnes tout en respectant les protocoles en place. »

Sur le plan cinématographique, le parlement représentait à la fois un cadeau et un risque immense. « C’est un endroit à la fois austère et grandiose. Je voulais transposer ce lieu que tout le monde connaît dans notre univers, fermer les volets, tamiser les lumières, et qu’on mette en valeur les détails, les fioritures, les fresques extraordinaires du plafond. »

La cinéaste n’a pas hésité à aller dans les extrêmes, à pousser à son paroxysme la flamboyance des décors, des costumes et de la bande sonore, à ouvrir et fermer de nombreuses scènes avec des airs baroques expressifs et contrastés.

« Il fallait rendre attrayant le thème principal du film : le livre québécois. Happer les gens et leur donner envie d’embarquer dans l’histoire. Mais le piège avec une satire, c’est de tomber dans la caricature. On avait aussi une proposition plus grande que nature, avec une facture visuelle, des costumes et des décors flamboyants. Pour qu’on y croie, il fallait trouver de la vérité et du minimalisme dans le jeu des acteurs. J’ai eu la chance de pouvoir compter sur une distribution exceptionnelle. »

Le choix controversé de Maripier Morin

 

Le film ne peut non plus être extirpé de son contexte, puisque Mariloup Wolfe a confié le rôle-titre à Maripier Morin, qui avait mis sa carrière en veilleuse en juillet 2020 à la suite d’allégations de harcèlement sexuel, d’agression physique et de racisme.

Bien que ce choix soit controversé, la cinéaste se défend d’avoir voulu prendre position ou envoyer un message. « J’ai choisi Maripier parce que j’ai eu l’impression que la vulnérabilité et le bagage qu’elle apportait en audition donnaient du poids au personnage et aux propos du film. Je n’ai jamais voulu ni pu faire abstraction de ce qui s’était passé. Je l’ai vue en audition un an après les événements, on me disait qu’elle reprenait le travail, et j’avais l’impression qu’on était déjà ailleurs. Je ne suis pas la juge de ce tribunal populaire dont je ne maîtrise pas les codes. Ma candeur a peut-être nui, car je n’ai très sincèrement pas pensé que cette décision susciterait une réaction aussi forte et polarisée. Cela dit, j’ai fait un choix artistique que j’assume. Le reste appartient maintenant au public. »

La réalisatrice affirme aussi croire en l’importance de la deuxième chance, elle qui s’est retrouvée au coeur d’une controverse qui a mené au retrait de l’humoriste Gabriel Roy de la vie publique. Mariloup Wolfe avait notamment intenté une poursuite contre lui, dans la foulée de la diffusion d’un billet publié sur Facebook en 2013 où il faisait allusion à une relation sexuelle fictive d’une grande violence avec la principale intéressée. « J’ai suivi le processus traditionnel et utilisé les outils qui nous sont donnés — c’est important de le souligner. Il y a une entente qui a été respectée. Après ça, il peut faire ce qu’il veut, je ne lui souhaite que le meilleur. »

Maripier Morin abonde dans le même sens : les allégations l’ont amenée à entreprendre une thérapie et à reconnaître sa dépendance à l’alcool et à la cocaïne, entre autres. « J’ai fait des erreurs. J’en ferai encore, mais certainement pas les mêmes. J’ai envie d’être sur un chemin qui me permet d’évoluer, de guérir, pour moi et pour les autres. J’ai aussi envie de vivre dans une société qui pardonne. »

« Si on ne pardonne pas aux gens qui admettent leurs torts et qui mettent tout en place pour changer, où est-ce qu’on s’en va ? demande-t-elle. Je ne veux pas non plus devenir le visage de la sobriété, celle qui s’est relevée. Je fais ma petite affaire pour que moi, mon chum, ma fille et ma famille, on soit bien. »

L’actrice affirme d’ailleurs que l’histoire de son personnage lui a permis de cheminer. « Je ne me suis jamais autant reconnue dans un personnage. Ça m’a permis de réfléchir à ma relation à mon image et au regard des autres, et d’apprendre à voir et à apprécier ma propre valeur. »

Le film Arlette prendra l’affiche le 5 août.

Arlette

Comédie dramatique de Mariloup Wolfe. Avec Maripier Morin, Gilbert Sicotte, David La Haye et Paul Ahmarani. Canada, 2022, 118 minutes. En salle le 5 août.

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