Le fantastique débridé de Jean Rollin

Les propositions cinématographiques foncièrement surréalistes de Jean Rollin (à droite), avaient de quoi dérouter.
Photo: Arrow Films Les propositions cinématographiques foncièrement surréalistes de Jean Rollin (à droite), avaient de quoi dérouter.

Dans un château délabré, seul le tic-tac d’une horloge grand-père fait obstacle au silence. Soudain, un grincement en émane alors que la partie inférieure s’ouvre et qu’en émerge une jeune femme. Le teint blafard, les yeux cernés de rouge, la vampire vient de sortir de son cercueil « intemporel ». Tirée du film Le frisson des vampires (1971), cette image saisissante n’est que l’une des nombreuses imaginées autrefois par Jean Rollin. Entouré d’une aura culte, le cinéaste français a fait l’objet d’un documentaire, Orchestrator of Storms : the Fantastique World of Jean Rollin, coréalisé par Dima Ballin et Kat Ellinger et dévoilé en première mondiale à Fantasia ce samedi.

Il faut savoir que l’oeuvre de Jean Rollin (1938-2010), qui connut son âge d’or au cours des années 1970, est souvent mal comprise. Entre épouvante, érotisme et poésie macabre, son cinéma est traversé de femmes vampires et autres revenantes généralement peu vêtues. Sur la foi de photos aperçues dans un livre ou un magazine, il est facile de conclure que Rollin n’était qu’un satyre ne pensant qu’à la nudité féminine.

« Il y a tellement d’idées reçues en ce qui a trait à Jean Rollin », lance Kat Ellinger, autrice, critique et rédactrice en chef du magazine Diabolique.

Dima Ballin renchérit : « Ses premiers films ont un côté parfois approximatif, mais on sent qu’il n’hésite pas à essayer des trucs, qu’il n’a peur de rien. Ça me parle énormément, en tant que réalisateur. »

Non, Rollin n’avait peur de rien, pas même, à en juger certaines de ses actions, de la mort, qu’il mit du reste si souvent en scène. Ainsi, vers 1997, juste après avoir reçu une transplantation rénale, il quitta l’hôpital avant d’avoir obtenu son congé afin de poursuivre le tournage de son film Les deux orphelines vampires, et retarda plus d’une fois ses séances de dialyses.

Admiratif, Dima Ballin note : « Il était un anticonformiste qui tournait ses films coûte que coûte. »

De Bataille à Cocteau

Anticonformiste, le mot est faible. À Paris, les premiers films de Jean Rollin s’attirèrent en effet de violentes huées d’un public venu voir un film d’horreur dans l’esprit de ceux, très populaires à l’époque, de la société anglaise Hammer. Lesquels films mêlaient horreur, imagerie gothique, gore et un soupçon d’érotisme.

Si le gothisme et l’érotisme étaient au rendez-vous dans les propositions de Rollin, leur nature volontiers surréaliste avait de quoi dérouter.

Or, loin de se décourager, Jean Rollin décida de suivre le fameux conseil de Jean Cocteau : « Ce que le public te reproche, cultive-le, c’est toi. » Cocteau qui, pour l’anecdote, était un ami de sa mère.

Parlant de l’entourage de la mère de Rollin : le documentaire s’avère d’emblée passionnant, car on revient dès le début sur l’enfance du cinéaste, alors que sa mère frayait avec la faune surréaliste et dadaïste. Elle eut même une liaison avec Georges Bataille, dont l’influence est perceptible dans certains films de Rollin. Quant à son père, il était acteur et metteur en scène de théâtre, et Rollin passa beaucoup de temps en coulisse. D’où cette théâtralité omniprésente dans son cinéma.

« Chez lui, tout vient de l’enfance, estime Kat Ellinger. Même adulte, il est demeuré un enfant. Sa relation avec sa mère, en particulier, a eu une incidence immense sur son travail. »

La réalisatrice entendit en l’occurrence parler de Jean Rollin bien avant d’être en mesure de voir l’un de ses films, ceux-ci ayant longtemps été introuvables avant que des distributeurs britanniques et américains les restaurent pour le marché du DVD et du blu-ray.

« Lorsque j’ai finalement pu voir les films, j’ai adoré ce que j’ai vu. Je craignais un peu que les films eux-mêmes ne soient pas à la hauteur de ces images que j’avais vues, en amont, hors contexte, et qui m’avaient captivée. Ça n’a pas été le cas, au contraire. Je trouvais chaque plan évocateur… En regardant ses films, je me suis sentie chez moi. »

Pour Dima Ballin, les premières impressions furent tout aussi fortes, quoique plus diffuses : l’atmosphère, la dimension insolite lui plurent :

« Les histoires ne m’ont pas marqué. Ça s’est passé à un autre niveau. Ce sont des images qui m’ont hanté longtemps — qui me hantent toujours. »

L’essence du fantastique

De fait, comme on le découvre, le récit chez Rollin est souvent subordonné à un enchaînement de fulgurances fantasmagoriques. C’était voulu, assumé et revendiqué, comme en témoigne ce passage tiré des mémoires du cinéaste inclus dans Orchestrator of Storms :

« L’essence même du fantastique est d’être improbable, irréaliste, “nonsensique”, illogique. En un mot, de pratiquer la véritable liberté, qui est poésie folle. »

Le documentaire, outre qu’il est extrêmement riche sur le plan du contexte historique, alterne avec fluidité entre propos de Rollin, archives personnelles, extraits de films et interventions d’experts (l’autrice Virginie Sélavy parle d’un « goût de la transgression » et d’un mélange « d’innocence et de perversité »). Les témoignages d’anciennes collaboratrices, comme Françoise Pascal (vedette de La rose de fer), et Brigitte Lahaie (vedette de plusieurs films de Rollin, dont Fascination, La nuit des traquées et La morte vivante), s’avèrent tout spécialement éclairants.

Cette dernière confie que Jean Rollin, qu’elle qualifie de « cinéaste de coeur dont on reconnaît les films après trois images », fut « le premier à lui donner confiance devant la caméra ». Rencontré pendant l’un des apartés du réalisateur dans le cinéma porno pour des besoins alimentaires, Rollin perçut un réel tempérament d’actrice chez Brigitte Lahaie et la convainquit de faire le saut du côté du cinéma régulier (pour peu que le qualificatif s’applique à celui de Rollin).

« C’est formidable ce que partage Brigitte Lahaie, et elle rappelle également à quel point tous les personnages féminins chez Jean Rollin avaient du pouvoir. Ce n’est pas pour rien qu’autant de fans de ses films sont des femmes », note Kat Ellinger.

Empreint de révérence sans être hagiographique (des nanars comme Le lac des morts vivants sont désignés comme tels), Orchestrator of Storms est du bonbon pour quiconque s’intéresse au processus créatif en cinéma — que l’on soit où non séduit par l’oeuvre de Jean Rollin. Quoique le documentaire donne vraiment envie de s’y plonger (ou de s’y replonger, c’est selon).

D’ailleurs, Dima Ballin et elle espèrent que leur documentaire entraînera de nouvelles hordes de cinéphiles assoiffés d’étrangeté dans l’univers macabre et fascinant de Jean Rollin.

Orchestrator of Storms : the Fantastique World of Jean Rollin

Le film sera projeté au Festival Fantasia les 16 et 18 juillet.

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