«Polaris»: la petite fille et la grande ourse

Dans un panorama glacé d’une blancheur immaculée, un ours polaire et une jeune fille s’ébattent dans la neige. De regards en grommellements, on devine qu’animal et enfant ont leur propre mode de communication. Dans ce futur pas si lointain où règne une nouvelle ère glaciaire, rares sont les humains. Et ceux que l’on croise ne sont pas tous recommandables, comme l’apprendra l’héroïne de Polaris, qui ouvre le festival Fantasia jeudi. Jointe à Toronto, la réalisatrice Kirsten « KC » Carthew revient sur la production de ce film écopostapocalyptique conjugué exclusivement au féminin.
« Je suis d’autant plus ravie que Polaris ait été retenu pour la soirée d’ouverture de Fantasia que la genèse du film est en quelque sorte liée au festival. En 2015, mon court métrage Fish Out of Water y avait été présenté, et l’accueil avait été excellent — le public de Fantasia est unique dans l’expression de son enthousiasme », précise KC Carthew, qui ose espérer un accueil similaire jeudi soir.
Récit d’aventure et d’horreur à connotation écologiste et féministe tourné — comme Polaris par la suite — au Yukon, Fish Out of Water contait les péripéties d’une pêcheuse sur glace qui se retrouve avec une surprise au bout de sa ligne. « Les fans de ce court me disaient que je devrais faire un long dans le même esprit. »
Après un premier long métrage bien reçu, le drame The Sun at Midnight, avec également une jeune fille pour protagoniste sur fond nordique, la cinéaste se remit à penser à son fameux court métrage et à la possibilité, non pas d’adapter celui-ci en long métrage, mais d’en concevoir un dans une veine similaire.
« Au risque de sonner ésotérique, j’ai un peu lancé mon désir dans l’univers, et le récit m’est venu presque en un seul élan d’écriture. C’était très intuitif. J’ai incorporé plein de trucs que j’aime. Par exemple, je suis fascinée depuis l’enfance par la mythologie grecque, avec ses histoires de bannissement dans les cieux ; je pense aussi à Rémus et Romulus, élevés par une louve… D’où cette jeune fille [Viva Lee] élevée par une ourse polaire et qui dans le film entretient manifestement une relation particulière avec l’étoile Polaire. »
Cet astre, dont le nom latin, Polaris, donne son titre au film, tient un rôle clé dans l’intrigue.
« Dans ce futur indéterminé, l’étoile Polaire n’est plus immobile, mais en mouvement : l’odyssée de la jeune fille et ce mouvement céleste ne font qu’un. J’essayais par là de signifier qu’un changement majeur est nécessaire si on espère s’en sortir collectivement. Mais bref, cette étoile fait partie de la constellation de la Petite Ourse… Donc, j’avais cette enfant et cette ourse polaire, cette « grande ourse »… Tout s’est emboîté. Par ailleurs, je tenais à une distribution complètement féminine : ces femmes ont survécu sur les ruines du patriarcat, mais certaines, c’est-à-dire cette faction de maraudeuses qui capturent à un moment l’héroïne, perpétuent ce système caduc. »
De Mad Max à Miyazaki
Quant à cet univers postapocalyptique, le second Mad Max, Road Warrior (Mad Max 2 : Le défi), a beaucoup marqué KC Carthew dans sa jeunesse. Outre ce classique du genre, on songe parfois à Turbo Kid, pour ses effets sanguinolents volontairement outrés, ainsi qu’à certains films animés d’Hayao Miyazaki, comme Princesse Mononoké, pour la jeune héroïne dont le voyage initiatique est ponctué de considérations écologiques.
Dans Polaris, cette mystérieuse enfant sans nom aura maille à partir avec des survivantes encore esclaves de vestiges industriels et de relents de pollution. Elle croisera toutefois des alliées, dont une aînée solitaire (Murielle Dutil) qui la prendra un temps sous son aile. « Ah, Murielle ! Je l’adore ! Elle est badass dans le film ! »
Outre qu’elle y a déjà filmé plus d’une fois, KC Carthew est originaire de Yellowknife. Elle en connaît donc les particularités climatiques et savait que le tournage ne serait pas facile.
« La réalité, c’est qu’avec les changements climatiques, on ne sait jamais si on aura de la neige ou pas. Il nous en fallait pour le film, mais l’hiver précédent, il n’y en avait presque pas eu. Finalement, on a eu des précipitations records de neige. À tel point qu’il fallait se déplacer en raquettes presque partout — et en motoneige, évidemment. Avec le froid, il était évidemment impératif de redoubler de prudence pour que les actrices ne tombent pas en hypothermie. En fait, le contexte était propice à tout un tas de problèmes, mais au bout du compte, ça s’est merveilleusement bien passé. »
À terme, Kirsten Carthew se dit fière de son film, dont une partie du budget dut inopinément être redirigée vers un surcroît de mesures sanitaires associées à la COVID-19.
« Je tenais à intégrer un commentaire sur la politique des genres et sur l’environnement, mais je voulais surtout offrir un film qui soit divertissant, qui soit le fun. » C’est mission accomplie.
Le festival Fantasia débute le 14 juillet et se poursuivra jusqu’au 3 août.
Tourner avec une ourse polaire
Hormis Viva Lee, 11 ans au moment du tournage, l’autre vedette de Polaris est Aggie, une énorme ourse polaire alors âgée de 25 ans. Souvent, les cinéastes se font déconseiller de tourner avec des enfants ou des animaux. Or, après avoir dirigé les deux dans le même film, KC Carthew ne regrette rien, au contraire.
« Viva est tellement extraordinaire ! Elle n’avait peur de rien ! Quant à Aggie, c’est une femelle qui a été rescapée d’un zoo en Suède lorsqu’elle était bébé. C’est une ourse « professionnelle », qui joue dans des films depuis son sauvetage. Elle adore ça. Son entraîneur m’expliquait qu’à cause de la pandémie, Aggie n’avait pas tourné depuis un an et demi et que ça lui manquait. J’ai pu le constater lorsqu’elle est arrivée le premier jour : on filmait dans un hangar à avions entouré d’écrans verts [remplacés ensuite par différents paysages] et rempli de neige. Il faut savoir qu’Aggie vit près de Vancouver, où il ne neige plus vraiment. En voyant la neige, elle s’est précipitée pour s’y rouler et s’y tortiller avec bonheur : c’est ce qu’on voit dans le prologue du film. C’était en l’occurrence son dernier tournage. Elle a maintenant 27 ans et a pris sa retraite. Ça a été un réel bonheur que de travailler avec elle. »