Après la fermeture des Films Séville, un coup dur pour le cinéma québécois

Les Films Séville demeurent le distributeur de plusieurs des plus grands succès commerciaux du cinéma québécois, comme «Bon Cop, Bad Cop».
Photo: Films Seville Les Films Séville demeurent le distributeur de plusieurs des plus grands succès commerciaux du cinéma québécois, comme «Bon Cop, Bad Cop».

Le choc est dur à encaisser dans l’industrie du cinéma après que les Films Séville, le plus important distributeur de films québécois, eurent annoncé abruptement mardi la fin de leurs activités. Nombre de questions demeurent en suspens quant à l’avenir du riche catalogue acquis au fil des ans par l’entreprise. Plusieurs craignent que les droits de distribution de certains de nos chefs-d’oeuvre passent entre les mains d’intérêts américains.

Les Films Séville demeurent le distributeur de plusieurs des plus grands succès commerciaux du cinéma québécois, comme Bon Cop, Bad Cop, La grande séduction, Incendies ou encore Starbuck. L’entreprise, propriété de la torontoise Entertainment One, possède aussi les droits sur une partie de la filmographie de cinéastes de renom, comme Xavier Dolan et Denys Arcand.

Qui héritera maintenant de la tâche de continuer à faire rayonner ces films en les vendant aux plateformes numériques et aux diffuseurs télé ? La question était sur toutes les lèvres dans l’industrie du cinéma mercredi, au lendemain de l’annonce de Films Séville, qui a licencié sans préavis l’ensemble de son équipe consacrée à la distribution en salle. « Je suis très inquiète pour l’avenir du catalogue. C’est très triste de voir une compagnie fermer ses portes aussi sauvagement. C’est non seulement une page de l’histoire de notre cinéma qui se tourne, c’est aussi un chapitre au complet qui est brûlé », regrette Nicole Robert, qui a produit les longs métrages de Ricardo Trogi et de Podz, eux aussi distribués par les Films Séville.

Pour l’heure, les regards sont tournés vers les quelques films qui doivent prendre l’affiche au cours des prochains mois et qui étaient censés être distribués par les Films Séville. Patrick Roy, le président des Films Séville, s’est engagé à honorer ses engagements pour les projets déjà en chantier. À moins d’un revirement de situation, 23 décembre, de Miryam Bouchard, arrivera en salle comme prévu pour le temps des Fêtes. On continue aussi à viser une sortie en 2023 pour Le plongeur, l’adaptation du roman à succès de Stéphane Larue que réalise Francis Leclerc.

Les Films Séville sont aussi le distributeur de la comédie Lignes de fuite, qui sera au cinéma dès la semaine prochaine. La première montréalaise a d’ailleurs eu lieu lundi comme si de rien n’était, alors que le lendemain, la plupart des employés apprenaient par courriel qu’ils étaient remerciés.

« Le film ne sera pas pénalisé par ça. Le gros du travail était déjà fait. Je m’inquiète plus, par contre, pour les films qui sont censés sortir plus tard », confie Denise Robert, productrice de Lignes de fuite, mais aussi du prochain Denys Arcand, Testament, que les Films Séville doivent distribuer.

Entre les mains des Américains

 

Denise Robert voit aussi d’un très mauvais oeil le fait que le catalogue des Films Séville, qui comprend nombre de classiques du cinéma québécois, puisse être transféré à une entreprise américaine. Rappelons que la boîte de distribution avait été vendue en 2007 au groupe Entertainment One, communément appelé eOne, dont le siège social est à Toronto. Les Films Séville continuaient néanmoins à assurer une présence à Montréal avec leur bureau sur la rue Saint-Antoine. Or, en 2019, eOne a été aspiré par le géant américain Hasbro, une acquisition qui préoccupe le milieu du cinéma québécois trois ans plus tard, au vu de la situation actuelle.

« On est tous inquiets de ça. Il y a quelques années, Le déclin de l’empire américain avait été vendu aux Américains, et Denys Arcand n’avait même pas eu le droit d’utiliser un extrait de son film. Ça nous rappelle pourquoi il faut absolument que notre patrimoine cinématographique reste au Québec », insiste la productrice.

Même son de cloche à l’Association québécoise de la production médiatique (AQPM), qui espère qu’une compagnie québécoise se porte acquéreur du catalogue des Films Séville. « Seule une entreprise québécoise sera en mesure d’apprécier la richesse de ce catalogue et d’en favoriser le rayonnement et la commercialisation au bénéfice des auditoires et des titulaires de droits », a souligné par communiqué la présidente-directrice générale, Hélène Messier.

Déjà, le distributeur et producteur Christian Larouche, ancien dirigeant des Films Christal, songe à l’idée de racheter les droits des oeuvres qu’il avait cédés à Films Séville il y a quelques années à la suite des difficultés financières de son entreprise. Aujourd’hui à la tête des Films Opale, il conçoit très bien qu’eOne puisse se retrouver à son tour dans une situation précaire, au point de devoir se départir de sa branche québécoise.

« Ce n’est vraiment pas facile pour les distributeurs ces temps-ci. La pandémie a été très difficile, et le public n’est pas entièrement revenu en salle. En deux ans, la pandémie a accéléré la croissance des plateformes numériques comme s’il s’était écoulé dix ans », explique Christian Larouche.

Conséquences sur le financement

 

Les Films Opale, Sphère Films ou encore TVA Films font partie des quelques distributeurs qui résistent à l’heure actuelle sur le marché québécois. Mais aucun n’a les reins aussi solides que les Films Séville, qui avaient les moyens, à une certaine époque, de financer des films à grand déploiement pour le Québec.

Les Films Séville étaient l’une des seules boîtes à pouvoir le faire, surtout depuis qu’ils avaient avalé il y a dix ans l’un de ses principaux concurrents, Alliance Atlantis Vivafilm, sous l’égide d’eOne.

« On ne laisse pas la distribution nationale dans les mains d’intérêts étrangers. Séville était quasiment en situation de monopole, et les institutions ont laissé faire ça. Ce qui se passe aujourd’hui était malheureusement prévisible », déplore le distributeur indépendant Louis Dussault, qui s’attend à ce que la perte de ce joueur ait des conséquences sur le financement des films québécois à gros budget.

À voir en vidéo