Décès de Jean-Louis Trintignant, un monument du cinéma

Un simple coup d’oeil à sa filmographie suffit à donner le vertige à n’importe quel cinéphile. Atteint d’un cancer depuis 2017, l’acteur Jean-Louis Trintignant est mort le 17 juin à l’âge de 91 ans « paisiblement, de vieillesse, […] entouré de ses proches », a fait savoir son agent.
Au cours de sa longue et fructueuse carrière, il fut la vedette de maints chefs-d’oeuvre, dont Z, de Costa-Gavras, Le conformiste, de Bernardo Bertolucci, Ma nuit chez Maud, d’Éric Rohmer, et Amour, de Michael Haneke. Il brilla tout autant au théâtre, où il eut longtemps comme partenaire privilégiée sa fille Marie Trintignant, tuée par son conjoint, Bertrand Cantat, en 2003.
Jean-Louis Trintignant vient au monde en 1930, dans le sud de la France. Fils d’un industriel et politicien local qui deviendra résistant durant la Deuxième Guerre mondiale, il voit sa mère être « tondue » à la libération pour avoir eu une liaison avec un soldat allemand.
Vers la fin du conflit, en 1944, il découvre Jacques Prévert, mais, bien que soudainement captivé par la poésie, il s’inscrit plus tard en droit. Mais rien n’y fait. Ainsi, lorsqu’il assiste à une représentation de L’avare, de Molière, le sort en est jeté : il sera acteur. Également fasciné par le cinéma, il nourrit le rêve de devenir réalisateur, aussi étudie-t-il en parallèle les deux disciplines.
Il cumule les engagements sur scène dès la fin de sa formation, en 1950-1951, tout en faisant de la figuration au cinéma, où il finit par décrocher quelques seconds rôles. La célébrité lui tombe dessus en 1956 lorsque, dans l’un de ses premiers rôles principaux, il donne la réplique à une certaine Brigitte Bardot. Le film, Et Dieu… créa la femme, du sulfureux Roger Vadim, connaît un succès international retentissant. Lequel succès change irrémédiablement le parcours de Trintignant, qui devient dès lors un acteur très couru. Alors en couple avec l’actrice Stéphane Audran, il a une liaison avec « BB » : c’est la rupture.
La consécration
Ce n’est cependant que 10 ans plus tard, en 1966, que survient la réelle consécration cinématographique. Cette année-là, Jean-Louis Trintignant est à l’affiche dans pas moins de cinq films, dont la superproduction historique Paris brûle-t-il ?, de René Clément, sur la libération, et surtout, Un homme et une femme, de Claude Lelouch, ou l’histoire d’amour entre un veuf et une veuve (Anouk Aimée). Sur une musique de Francis Lai, le film cartonne de par le monde.
De la période des années 1960, on retiendra en outre le policier Compartiment tueurs (1965), premier film de Costa-Gavras, le suspense psychologique Les biches, de Claude Chabrol (1968), où il fait la paix avec Audran, le déjà mentionné Ma nuit chez Maud (1969), un triomphe international pour Éric Rohmer, et le western culte Le grand silence (1967), de Sergio Corbucci.
D’ailleurs, depuis 1962 et le film Le fanfaron, de Dino Risi, Jean-Louis Trintignant tourne régulièrement en Italie, par exemple dans le giallo Si douces, si perverses, d’Umberto Lenzi. Ainsi se plaît-il à alterner films d’auteur et productions à vocation plus commerciale, quoique les premiers se soldent souvent par des succès inattendus.
À la fin de la décennie, il retrouve Costa-Gavras pour le thriller politique Z, qui obtient l’Oscar du meilleur film étranger et qui vaut le prix d’interprétation masculine au comédien à Cannes. En couple avec la cinéaste Nadine Trintignant depuis 1960, il tourne plusieurs fois sous sa direction, notamment dans Mon amour, mon amour (1968), où apparaît pour la première fois au cinéma, à quatre ans, leur fille Marie Trintignant.
Les années 1970 débutent en lion avec Le conformiste, de Bernardo Bertolucci, coproduction de la France et de l’Italie. En homme qui, mû par un irrépressible besoin d’appartenance sociale, de conformité, épouse l’idéologie fasciste, Jean-Louis Trintignant est saisissant. Or, en privé, le comédien et sa conjointe vivent l’enfer : Pauline, leur fille de 10 mois, meurt dans son sommeil.
Dans le recueil Du côté d’Uzès. Entretiens avec André Asséo (2012), Jean-Louis Trintignant confie : « Un matin, alors que je partais tourner, je suis allé embrasser Pauline dans son berceau. Elle était morte, on n’a pas su comment. J’ai dit à Nadine : “Soit on se suicide, soit on accepte de vivre pour Marie.” »
La vie, et Marie, l’emportent. En 1973, le couple a un fils : Thomas.
Truffaut, Huppert, Haneke
Au cours des années suivantes, Jean-Louis Trintignant retrouve des cinéastes fétiches : Clément, Lelouch, Robbe-Grillet… Sa rencontre avec Michel Deville pour Le mouton enragé, où il incarne un arriviste fourbe face à Romy Schneider, est déterminante, et les deux hommes collaboreront de nouveau pour Eaux profondes (1981), avec Isabelle Huppert, d’après Patricia Highsmith. Vers la fin de la décennie, plus attiré par la scène que par la caméra, il décline deux offres hollywoodiennes : le rôle du professeur Lacombe dans Close Encounters of the Third Kind (Rencontres du troisième type, 1977), de Steven Spielberg, qui confiera le rôle à François Truffaut, et celui d’un reporter dans Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola.
Au cours des années 1980, il tourne pas moins de trois fois avec le cinéaste italien Ettore Scola (La terrasse, Passion d’amour, La nuit de Varennes), puis collabore avec François Truffaut, tiens, pour ce qui sera le chant du cygne de ce dernier : la comédie policière Vivement dimanche ! (1983), avec Fanny Ardant. Il est entre 1982 et 1985 des distributions du succès mafieux Le grand pardon, d’Alexandre Arcady, de Rendez-vous, d’André Téchiné, et de Partir, revenir, de Claude Lelouch. En 1986, la suite d’Un homme et une femme s’avère en revanche un cuisant échec (comme celle de 2019).
Plus rare au cinéma dans les années 1990, il enchaîne les pièces de théâtre et les spectacles poétiques comme Poèmes à Lou, avec sa fille Marie, consacré à Guillaume Apollinaire.
Il est néanmoins au générique d’une poignée de films mémorables comme Merci la vie (1991), de Bertrand Blier, Trois couleurs. Rouge (1994), de Krzysztof Kieślowski, Regarde les hommes tomber (1994), de Jacques Audiard, ou encore La cité des enfants perdus (1995), de Marc Caro et Jean-Pierre Jeunet.
L’après-tragédie
En 2003, le décès de Marie Trintignant, battue à mort par son conjoint, le chanteur Bertrand Cantat, provoque son retrait du cinéma.
« J’aurais pu arrêter ma vie à ce moment-là », confie-t-il ultérieurement à L’Obs. « Je devrais m’arrêter, mais je ne veux pas. Les moments les plus heureux de ma vie, c’est quand je travaille, quand je fais du théâtre », poursuit-il. Poussé par ses proches, il retourne sur scène en 2005.
Il ne reviendra par contre au grand écran qu’au bout de huit ans, en 2012, avec Amour, de Michael Haneke. En couple d’octogénaires frappés par la maladie, Emmanuelle Riva et lui bouleversent. Le film le réunit par ailleurs avec Isabelle Huppert. Après la Palme d’or à Cannes, c’est le plébiscite aux César : meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur acteur, meilleure actrice et meilleur scénario. En 2017, Trintignant, Huppert et Haneke proposent Happy End, critique implacable des milieux bourgeois.
Cette année-là, il déclare au Figaro : « Je vais comme un homme dont l’avenir est un peu bouché, un homme qui s’entête à dire de la poésie, et qui sait pourtant que la poésie ne compte pas beaucoup dans ce monde. La poésie ne compte que pour quelques illuminés, c’est utopique. Elle m’a toujours accompagné, j’ai toujours trouvé une consolation dans la lecture des poètes, et pourtant je sais qu’il faut apprendre à vivre sans consolation. »
En 2018, Jean-Louis Trintignant foule les planches pour un ultime spectacle poétique, où il lit entre autres son bien-aimé Prévert.
En ce jour de deuil, ce sont toutefois des vers d’Apollinaire qui reviennent en mémoire : « J’ai cueilli ce brin de bruyère / L’automne est morte souviens-t’en / Nous ne verrons plus sur terre / odeur du temps brin de bruyère / et souviens-toi que je t’attends ».