Mario Fortin, pilier du cinéma Beaubien, à l’aube de la retraite

L’homme derrière le succès du mythique cinéma Beaubien, Mario Fortin, passera la main en décembre prochain après 50 ans de carrière. Celui qui aura fait du rayonnement des films indépendants le combat de sa vie part à la retraite la tête tranquille, convaincu que les salles de cinéma ont toujours un brillant avenir devant elles, malgré l’avènement des plateformes en ligne.
« Il y a 20 ans, quand je suis allé demander un prêt pour ouvrir le cinéma Beaubien, le banquier m’avait dit que les cinémas n’avaient plus d’avenir à cause des clubs vidéo. Il y a environ 10 ans, au moment de renouveler l’hypothèque, le même banquier m’a dit qu’il n’y avait plus d’avenir pour les cinémas à cause de Netflix, relate Mario Fortin. Je lui ai répondu que 10 ans plus tôt, il m’avait dit la même chose en me parlant de clubs vidéo, et qu’aujourd’hui, tous les Blockbuster et les SuperClub Vidéotron ont fait faillite. On ne sait pas de quoi l’avenir est fait. Ce qui est sûr, c’est que les salles de cinéma vont toujours exister. »
Beaucoup, au départ, ne donnaient pas cher de cette entreprise d’économie sociale, qui misait sur les films d’auteur et le cinéma québécois plutôt que sur les canons hollywoodiens comme les mégaplex.
À l’époque, le groupe Loews Cineplex Odeon traversait d’importantes difficultés financières et s’apprêtait à mettre la clé sous la porte de tous ses petits cinémas de quartier à Montréal. C’est dans ce contexte que des résidents du secteur La Petite-Patrie se sont mobilisés pour sauver le cinéma Dauphin, situé juste en face du parc Molson. Ils approchent alors Mario Fortin, qui cumule près de 30 ans d’expérience dans le milieu du cinéma, pour mener à bien le projet. Le cinéma Dauphin deviendra ainsi à l’automne 2001 le cinéma Beaubien que l’on connaît aujourd’hui.
« Notre grande ouverture était censée être le 11 septembre 2001. Tout était prêt. Le buffet était commandé. Des ministres avaient confirmé leur présence. Évidemment, tout a été annulé à la dernière minute », se souvient Mario Fortin, encore étonné par ce hasard de l’histoire qui ne lui aura finalement pas porté malheur.
Les aléas du cinéma québécois
Malgré la morosité post-11 Septembre, les cinéphiles seront au rendez-vous dès les premières semaines d’ouverture grâce au succès retentissant du Fabuleux destin d’Amélie Poulain. Dans les années qui suivent, Les invasions barbares de Denys Arcand et C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée donneront aussi des ailes au jeune cinéma Beaubien.
En comparaison avec le cinéma Dauphin, qui comptabilisait en moyenne 35 000 entrées par année, le cinéma Beaubien avait vendu en 2019 environ 240 000 billets. Et tout cela, avec 40 à 50 % de projections consacrées à des longs métrages québécois, bon an mal an. Les années creuses du cinéma d’ici, entre 2012 et 2016, se sont donc évidemment fait ressentir. Une perte d’intérêt que ne s’explique pas cependant Mario Fortin.
« Si je le savais, j’investirais un million dans ce qui fonctionne et je deviendrais riche. Mais personne n’a de boule de cristal. Personne ne peut savoir qu’un film va faire des milliers d’entrées, alors que d’autres en attireront presque zéro. Et nous, on est tributaires des films qui sont à l’affiche », poursuit celui qui quittera également ses fonctions à la tête des cinémas du Parc et du Musée.
Confiance en l’avenir
De manière générale, l’assistance dans les cinémas au Québec suit une tendance à la baisse. C’était le cas même avant la pandémie, toutes salles confondues, peu importe le genre ou l’origine des films. Selon l’Observatoire de la culture et des communications du Québec, le nombre total d’entrées s’élevait à quelque 25 millions en 2009, alors qu’il se chiffrait à 19 millions en 2018. Une conséquence de la popularité des plateformes en ligne ?
« Je ne crois pas que c’est à cause des plateformes. Il y a plein d’autres facteurs qui peuvent expliquer ça, comme le vieillissement de la population. Je pense au contraire qu’avec la pandémie, les distributeurs de films ont réalisé que les salles de cinéma étaient encore essentielles. Il n’y a rien qui puisse remplacer le fait d’écouter un film sur un grand écran avec des gens qui rient et qui pleurent autour de nous », martèle cet indomptable amoureux du 7e art.
Une passion qui lui vient de son enfance, quand Télé-Métropole diffusait en après-midi les films d’Eddie Constantine et de Fernandel.
Même à la retraite, il entend demeurer un cinéphile actif. Mario Fortin cédera sa place le 18 décembre prochain, à la veille de son 70e anniversaire, au terme d’un processus entamé depuis quelques années déjà. Il ne connaît pas encore le nom de celui ou celle qui va lui succéder, mais l’homme fort du cinéma indépendant au Québec estime laisser à cette personne une entreprise en bonne santé.
Le cinéma Beaubien a retrouvé de 75 à 80 % de sa clientèle d’avant la pandémie à l’heure actuelle. Et, signe encourageant : la fréquentation grimpe d’environ 5 % tous les mois depuis le dernier déconfinement.
« Dans 20 ans, je vais avoir 90 ans. Je vais peut-être être en fauteuil roulant, mais je veux être là pour le quarantième du Cinéma Beaubien. Car je suis convaincu que le cinéma Beaubien va encore être là », laisse tomber Mario Fortin, d’un optimisme à toute épreuve.