«Une histoire d’amour et de désir»: une nouvelle masculinité

Le deuxième long métrage de la cinéaste Leyla Bouzid a, comme son précédent, sillonné les grands festivals internationaux sur la planète cinéma et remporté de prestigieux prix.
Yohan Bonnet Agence France-Presse Le deuxième long métrage de la cinéaste Leyla Bouzid a, comme son précédent, sillonné les grands festivals internationaux sur la planète cinéma et remporté de prestigieux prix.

Vous ne connaissez probablement pas encore son nom : Leyla Bouzid. Mais, croyez-nous, elle fait déjà partie des cinéastes à suivre. Son premier long métrage avait su attirer les regards. À peine j’ouvre les yeux, sorti en 2015, avait récolté le Prix du public à la Mostra de Venise et le prix Lumière du meilleur film francophone. Avec son second long métrage, elle frappe de nouveau : elle clôt la Semaine de la critique 2021 à Cannes et remporte le Prix du meilleur film au Festival du film francophone d’Angoulême. Cette nouvelle pépite s’intitule Une histoire d’amour et de désir. La réalisatrice tunisienne offre ainsi à nos regards amourachés une sensualité à un doigt d’embraser la pellicule.

Ahmed est un enfant des cités parisiennes, issu de l’immigration. Ses parents sont venus en France de l’Algérie dans l’espoir d’y trouver une vie meilleure. Et à 18 ans, Ahmed fait leur fierté en intégrant la Sorbonne, où il décide d’étudier la poésie arabe. Il y fait la connaissance de Farah, une Tunisienne venue faire ses études à Paris. Le jeune homme tombe immédiatement sous son charme. En même temps qu’il va découvrir une littérature érotique dont il ne soupçonnait pas l’existence, Ahmed, submergé par son amour pour Farah, va lutter contre le désir que celle-ci lui inspire.

Raconter une trajectoire masculine

 

« Quand on est réalisatrice, on a l’impression que ça va de soi qu’on raconte des histoires de femmes, s’indigne Leyla Bouzid. Il y a une sorte de simplification, comme si une femme ne pouvait raconter qu’une trajectoire féminine, ce qui est absurde. […] Là, j’avais justement envie de regarder, de filmer un jeune homme qui vit ses premiers émois, et assumer le fait que je ne le connais pas complètement, assumer sa part de mystérieux qui m’échappe. »

Quand on est réalisatrice, on a l’impression que ça va de soi qu’on raconte des histoires de femmes. Il y a une sorte de simplification, comme si une femme ne pouvait raconter qu’une trajectoire féminine, ce qui est absurde. […] Là, j’avais justement envie de regarder, de filmer un jeune homme qui vit ses premiers émois, et assumer le fait que je ne le connais pas complètement, assumer sa part de mystérieux qui m’échappe.

L’écriture du personnage d’Ahmed a représenté un gros défi pour Leyla Bouzid. Non pas parce que c’est un homme, mais parce qu’il s’agit d’un portrait intérieur, où le seul opposant d’Ahmed à son désir pour Farah, c’est lui-même. « On est tous dans des carcans, on doit tous s’émanciper de quelque chose, raconte la réalisatrice. Souvent, pour les femmes, c’est plus visible, plus extérieur. Les hommes ont aussi une trajectoire d’émancipation à faire, mais c’est plus intérieur, parce qu’il y a toute une bataille menée pour essayer de correspondre à une image qui est très enfermante. »

Érotiser l’homme

Quand on pense sensualité au cinéma, à la multitude de précédents faisant presque office de règle, on pense féminin. On pense à Rita Hayworth retirant langoureusement ses gants dans Gilda, à Brigitte Bardot nue dévoilant ses fesses dans Le mépris. On pourrait continuer longtemps comme ça. Jusqu’à ce qu’on tombe sur la caméra de Leyla Bouzid, qui s’intéresse tout autant, avec Une histoire d’amour et de désir, à la sensualité masculine.

« Avec le chef opérateur, on a beaucoup cherché une scénographie un peu érotique […]. J’ai beaucoup pensé à La leçon de piano de Jane Campion, aux peintures de Schiele, se remémore la réalisatrice. Il s’agissait, dès le projet de départ, d’érotiser le corps masculin et d’imbiber tout le film de sensualité. […] Il fallait la travailler dans toutes les matières, avec les couleurs, pour être proches du corps. Ça a vraiment été au cœur de l’esthétique du film. »

La force de la femme arabe

 

Au cœur du film, il y a aussi la femme. Dans À peine j’ouvre les yeux, Leyla Bouzid nous faisait découvrir la jeunesse tunisienne d’avant la révolution, à l’énergie jugulée par l’État et la société, à travers le personnage de Farah. Un prénom arabe signifiant « joie » et qu’elle a de nouveau donné à son héroïne dans Une histoire d’amour et de désir. « En écrivant le scénario d’Une histoire d’amour et de désir, j’étais focalisée sur le personnage masculin, et quand j’ai imaginé le personnage féminin, Farah s’est un peu imposée à moi à nouveau. Elles [les deux Farah] me semblaient avoir les mêmes caractéristiques, être le même personnage. Donc, un peu naturellement, j’ai poursuivi l’existence de ce personnage, pour lequel je trouvais intéressant qu’il rencontre Ahmed. »

Ces deux Farah permettent à la réalisatrice de se pencher sur la place de la femme dans la société arabe. « Il s’agit de dire qu’il y a beaucoup de femmes fortes dans le monde arabe, parce qu’elles prennent en charge énormément de choses, parce qu’elles doivent s’imposer pour exister. Donc, moi, ce que je montre, ce sont des femmes très fortes, et même motrices de leurs désirs, de leur destin. Ce sont des personnages qui m’intéressent beaucoup et que je voulais, dans Une histoire…, confronter à des hommes qui ont du mal à prendre en charge leur désir. Je voulais aussi proposer des portraits d’hommes qui ont le droit d’être fragiles, qui doutent, hésitent. J’avais envie de montrer une nouvelle masculinité. […] La masculinité chez les hommes arabes est souvent perçue comme une forme de virilité très exacerbée, je voulais donc proposer autre chose. »

Une histoire d’amour et de désir sort en salle dès le 17 juin.

Une histoire d’amour et de désir

Drame de Leyla Bouzid avec Sami Outalbali et Zbeida Belhajamor. France, 2020, 102 minutes. En salle le 17 juin

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