Un départ lumineux pour Charlotte Le Bon à Cannes

On rencontre Charlotte Le Bon et ses jeunes acteurs à la terrasse de l’Hôtel Carlton, qui surplombe la mer. C’est sa journée aujourd’hui. L’actrice québécoise, gracieuse et simple, installée à Paris, avait les honneurs de la Quinzaine des réalisateurs pour son premier long métrage Falcon Lake. Cette délicieuse chronique d’amours adolescentes à la fois ensoleillée, poétique, pudique et insolite est bien reçue ici, pour sa sensibilité et son charme fou. Les premières critiques sont enthousiastes. La projection officielle fut vigoureusement applaudie. En 2018, Cannes avait déjà présenté son court métrage Judith Hôtel dans une section plus obscure. Cette fois, la cinéaste se sent adoubée par le grand festival, en consécration. « D’autant plus que Paolo Moretti, le délégué général de la Quinzaine, ne me connaissait pas et a choisi le film sans a priori », souligne-t-elle.
Artiste en art visuel, dessin et photo, interprète : ses cours de cinéma elle les aura pris sur les plateaux auprès de cinéastes souvent reconnus, Michel Gondry (L’écume des jours), Jalil Lespert (Yves Saint Laurent), Laurent Tirard (Astérix au service de Sa Majesté) et, aux États-Unis, Terry George (The Promise), Lasse Hallström (The Hundred Foot Journey), Robert Zemeckis (To Walk the Clouds).
Jalil Lespert avait conseillé à Charlotte Le Bon de lire le roman graphique Une sœur, de Bastien Vivès, sur ce drôle de passage vers l’âge adulte, aux pulsions sexuelles mal gérées. « J’avais besoin pour mes débuts au long métrage de partir d’un matériel concret et partir d’une structure. Avec son coscénariste, elle a décidé de le mettre à sa main. « Nos deux premières versions du scénario ont été rejetées par la SODEC. Le film a mis presque quatre ans à se faire. »
Quand elle a eu l’idée d’insérer un fantôme, un monstre du lac et une atmosphère d’étrangeté familière à sa psyché, tout s’est mis en place. « Des films de coming of age, il y en a plein. Pour leur insuffler une singularité, mieux vaut se servir de ses propres expériences. »
L’univers de Falcon Lake, que Vivès situait en Bretagne de bord de mer, elle l’a transplanté dans les Laurentides, une région où elle passait l’été dans ses jeunes années et qui a marqué son propre parcours. Un été, des vacances, des ombres pleines de mystère. La belle adolescente Chloé (Sara Montpetit) et Bastien, un garçon plus jeune (Le Français Joseph Engel), se flairent, s’amusent, se désirent, se manipulent, se découvrent en des scènes pleines de sel. Monia Chokri incarne avec aplomb la mère de Chloé.
Depuis longtemps, l’actrice brûlait de raconter ses propres histoires. Se faire filmer par des cinéastes masculins qui ne fantasmaient que sur sa féminité l’exaspérait. « J’ai eu des déceptions, des frustrations », admet-elle. Ils avaient des idées toutes faites. J’étais l’amoureuse. Alors, j’ai voulu créer un personnage de fille qui ne soit pas super féminin, qu’elle puisse s’habiller en fantôme. »
S’y donner la vedette pour autant : non merci ! « J’admire ceux qui, comme Monia Chokri, peuvent jouer et faire la mise en scène, mais l’exercice d’interprétation réclame de la vulnérabilité, et diriger un plateau, tout le contraire. »
Charlotte Le Bon goûte l’ambivalence des paysages québécois l’été. « La nature a absorbé la neige. Les eaux sont noires. Il y a une mort qui plane. Les lacs sont plus mystérieux que la mer. On trouve des monstres au fond. »
Elle voulait rendre cet âge où le garçon vit sa puberté avec ses troubles et ses humiliations. « Chloé a un pied dans l’adolescence, l’autre dans l’âge adulte. Bastien évolue entre l’enfance et l’adolescence. Chloé se sent affligée par les regards sexués des hommes plus vieux. Un jeune lui paraît moins menaçant. Elle possède un ascendant sur lui, puis s’aperçoit qu’il peut danser, l’impressionner. À cet âge, on se teste socialement, sexuellement. Tous mes souvenirs d’adolescence sont cruels. Je me suis mis dans la position des deux personnages, ayant connu le rôle de l’amoureuse transie et de celle qui hésite à s’engager », explique la cinéaste.
Quand elle a choisi Sara Montpetit, Maria Chapdelaine de Sébastien Pilote, où elle tient la vedette, n’était pas encore sorti. L’actrice de 18 ans a répondu à une annonce en ligne, et la cinéaste a aimé son naturel, sa nonchalance. C’était elle ! Charlotte Le Bon avait admiré Joseph Engel dans le film L’homme fidèle, de Louis Garrel, avant de le retrouver mûri à 14 ans.
Dimanche, Sara Montpetit découvrait Cannes et ses contradictions. « J’ai l’impression de vivre un cirque, disait-elle. Un spectacle unique, vivant, beau et laid. C’est un vertige. » À la lecture du roman graphique, l’actrice avait craint son côté pornographique. Mais si le film s’offre des scènes crues, Charlotte Le Bon les a traitées de façon sensible et délicate. « Ce tournage m’a offert l’un des plus beaux étés de ma vie », déclare la jeune comédienne. Sara Montpetit a aimé tourner dans une maison ayant ses propres fantômes, au milieu d’un village des Laurentides au nom de Gore, avec un cimetière à côté, où ils mangeaient parmi les tombes. Une atmosphère insolite planait. Mais Joseph Engel a trouvé bizarre de découvrir au final Falcon Lake un peu sombre. « Pour moi, ça avait été des vacances. »
Ce premier long métrage, subtil, tendre et inquiétant, a su intégrer la beauté, la menace et les sons de la nature à la psychologie des personnages. En y insérant un côté magique, Charlotte Le Bon lui a insufflé une âme qui palpite sur ces vacances initiatiques. Quant aux jeunes interprètes, ils sont formidables. On leur souhaite la bienvenue à Cannes !