«Pleasure», ou mettre le porno à nu

L’actrice suédoise Sofia Kappel dans une scène du film «Pleasure»
Photo: MK2 Mile End L’actrice suédoise Sofia Kappel dans une scène du film «Pleasure»

La jeune fille est là, assise sur le canapé. Ses yeux languissent et ses lèvres humides appellent à la débauche des corps nus. Elle s’apprête à s’adonner aux plaisirs de la chair, jusqu’à ce que le réalisateur lui demandede se pencher un peu plus vers l’avant, de décaler son pied de cinq centimètres et, surtout, de bien regarder la caméra. Parce que c’est avec le type derrière son écran qu’elle s’apprête en réalité à faire l’amour. Bella Cherry — patronyme qui, de toute évidence, ne lui a pas été attribué par ses parents — est actrice porno. Une petite nouvelle dans le métier, 19 ans à peine, tout juste débarquée dans la cité des anges de sa Suède natale pour devenir la prochaine grande vedette de l’industrie qu’on marque d’un X. Et son ambition n’a de limites que celles qu’elle se fixe.

Pleasure nous parle d’un mensonge. Celui d’une industrie qui cherche par tous les moyens à attiser notre plaisir. Pour ce faire, la réalisatrice et scénariste suédoise Ninja Thyberg, qui signe ici son premier long métrage, commence par nous laisser entrevoir le faux. Elle nous remémore toutes les illusions avec lesquelles l’industrie de la pornographie nous berce, puis nous montre le vrai et tout ce qu’il a de peu sensuel, pour ensuite installer un — pardonnez-nous l’image, particulièrement à propos — va-et-vient entre les deux.

Au centre de ses choix artistiques, il y a bien sûr son héroïne, qu’elle hypersexualise ou désexualise pour mieux écailler le vernis du porno. Le maquillage — à outrance, cela va de soi — est un masque que Bella met et enlève au gré pas seulement des tournages, mais de l’omniprésente représentation d’elle-même. Les motifs récurrents des miroirs et des écrans viennent mettre en exergue cette dualité et nous montrent la nuance entre la perception de soi-même et l’image qu’on choisit de donner aux autres.

Comble de l’hypocrisie

Comme attendu pour un film de ce type, on ne saurait dénoncer les travers du porno sans en épingler les pratiques douteuses en coulisses. La première à y passer est celle de la légalité. Bella, filmée avec sa carte d’identité et le journal du jour dans les mains, doit prouver qu’elle est bien majeure et qu’elle va tourner en toute liberté comme on prouve qu’un otage est encore en vie. Le comble de l’hypocrisie, car sa liberté est aussi factice que ses gémissements face à la caméra. Peu importe ce qui lui a été exposé avant qu’elle signe le contrat, dire non, c’est être virée. Et quand on consent, il faut consentir à toujours plus.

À ce propos, on ne peut que tirer notre chapeau à l’actrice principale, Sofia Kappel. Elle aussi nouvelle venue, elle porte le film par une interprétation solide et un sacré cran, car certaines des choses que l’on voit à l’écran, elle les subit réellement pour le bien de la mise en scène. Le résultat est cru et aussi réaliste qu’on pouvait l’espérer. En revanche, le choc à infliger au spectateur aurait mérité d’être plus violent étant donné le sujet. Ce n’est sans doute pas la matière qui manquait pour cela.

Ninja Thyberg parvient en revanche à dédramatiser un peu le tout grâce à quelques scènes cocasses. La séance de gorge profonde sur une pauvre banane qui n’avait rien demandé à personne fait mouche tout en montrant les sommets de ridicule que peut atteindre la représentation d’un fantasme dans un milieu conçu par et pour le plaisir masculin.

Contrairement au récent Noémie dit oui, dont le classement interdisant l’accès aux moins de 16 ans alors que le film tente de mettre en garde un public adolescent reste discutable, Pleasure, avec sa nudité frontale et des actes (pas tous) non simulés mettant en scène de véritables acteurs X, ne laisse planer aucun doute sur son classement par les autorités. Néanmoins, il donnera une matière pertinente à tout adulte qui ira le voir afin d’éclairer sur les travers de la pornographie une jeune génération trop facilement exposée à ces contenus.

Pleasure

★★★ 1/2

Drame de Ninja Thyberg. Avec Sofia Kappel, Revika Anne Reustle, Evelyn Claire. Suède–Pays-Bas–France, 2021, 109 minutes. En salle dès le 20 mai.

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