Igor Minaev, en guerre contre la propagande russe

Pour le cinéaste Igor Minaev, la liberté d’expression acquise en Ukraine, après la chute de l’Union soviétique, est si précieuse qu’elle justifie toutes les batailles.
« Pour l’Ukraine, c’est impensable de revenir en arrière [sous la domination russe]. Malgré les problèmes économiques, politiques, et culturels, ce sont des gens qui ont vécu la liberté pendant toutes ces dernières années. Ils ont vécu des situations où il n’y a pas de censure, où ils n’ont pas peur de dire ce qu’ils pensent publiquement », dit-il.
La propagande soviétique, c’est le sujet central de son film La cacophonie du Donbass, qui ouvre cette semaine le Festival international du film d’histoire de Montréal.
Le cinéaste, qui est né à Kharkiv, dans l’est de l’Ukraine, mais qui vit en France depuis plusieurs années, retrace dans ce film l’histoire tourmentée du Donbass. Cette région de l’Ukraine qui, après avoir subi une insurrection armée des prorusses en 2014, a été « reconnue » indépendante par la Russie fin février.
Pour l’Ukraine, c’est impensable de revenir en arrière [sous la domination russe]. Malgré les problèmes économiques, politiques, et culturels, ce sont des gens qui ont vécu la liberté pendant toutes ces dernières années.
Son film plonge d’abord dans les années 1930, alors que naît, dit-il, l’un des mythes fondateurs de l’Union soviétique, celui des mineurs du Donbass. À cette époque, un certain mineur du nom d’Alekseï Stakhanov épate l’URSS en pelletant 102 tonnes de charbon en six heures, lors d’un concours, alors que la norme est de 7 tonnes. Son histoire, contestée par plusieurs, est récupérée par la propagande soviétique, qui veut en faire un modèle pour les autres mineurs.
Le stakhanovisme
Le « stakhanovisme » donne lieu à l’élaboration d’une image fantasmée du mineur du Donbass, conduisant des voitures dernier cri, portant des habits propres et soignés et menant une vie « insouciante et facile ». Le titre du film de Minaev fait d’ailleurs référence ironiquement à La symphonie du Donbass, un film de propagande soviétique diffusé en 1931.
Pourtant, en 1989, alors que l’empire soviétique craque de partout, les mineurs du Donbass font la grève et brisent cette image fabriquée. Ils dénoncent l’état de grande pauvreté dans lequel ils vivent et les décès des mineurs liés aux explosions de méthane survenant au fond des mines.
Pour Igor Minaev, les mineurs couraient alors de grands risques en dénonçant la propagande soviétique et en réclamant de meilleures conditions de travail.
« C’était très, très dangereux, ce qu’ils ont fait. C’était un acte d’un courage et d’une force énormes. Ils n’en pouvaient plus », relate le cinéaste.
Pour les habitants du Donbass, la liberté liée à l’indépendance de l’Ukraine, en 1991, ne durera pas. En 2014, les forces prorusses prennent d’assaut la région. Dans son documentaire, Igor Minaev récolte des témoignages de citoyens qui ont été sauvagement battus et torturés par les Russes ou atteints par les obus ukrainiens au cours de la guerre qui continue de déchirer le Donbass encore aujourd’hui.
Un intérêt tardif
À l’époque, pourtant, « cette guerre n’intéressait pas grand monde », dit Igor Minaev, dont le film est sorti en 2019. « C’était considéré comme un conflit local, horrible. Avant, c’était l’annexion de la Crimée, et encore une fois, le monde entier n’avait pas réagi. Tout le monde a dit que ce n’était pas bien. »
Pour le cinéaste, l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie, déclenchée en février, était alors « inimaginable ». Et c’est l’énormité de la situation qui a poussé la communauté internationale à se positionner.
Auparavant, « personne ne voulait directement affronter Poutine, dit-il, pour des raisons économiques ou politiques ».
Pourtant, depuis que cette guerre a commencé, Igor Minaev est convaincu que les Ukrainiens « ne se laisseront pas faire, coûte que coûte. Il y a beaucoup de morts des deux côtés. Il y a des gens qui résistent. Tout ce que je peux dire, c’est que j’espère que cette guerre s’arrêtera et que tous les criminels de guerre seront jugés ».