«Noémie dit oui»: descente dans l’enfer de la prostitution

Noémie vit en centre jeunesse. Depuis deux ans, le gouvernement du Québec a préféré retirer la garde de cette adolescente à sa mère. D’ailleurs, celle-ci ne veut pas la récupérer. Un rejet insupportable pour Noémie, qui préfère fuguer plutôt que de rester au centre. Dehors, elle retrouve une autre fugueuse : son amie Léa, qui a l’air de mener la grande vie à Montréal avec son chum. Ce qu’elle va vite apprendre, c’est que cette vie de nabab, Léa la finance avec son corps.
Elle qui n’a que 17 ans fait l’escorte toutes les nuits. Introduite dans ce cercle douteux, Noémie tombe sous le charme d’un des garçons qui, alors que leur lit est encore tiède de leurs ébats, lui propose de devenir escorte elle aussi, le temps du Grand Prix de Formule 1. « C’est chill », « c’est juste du cul », comme ils disent. Noémie ne veut pourtant pas. Jusqu’à ce qu’elle craque et dise oui.
Il y a des films qu’on regarde pour le plaisir, des films qui parlent de plaisir et qu’on a du plaisir à voir, et des films qui parlent du plaisir de certains et qu’on regarde avec un certain déplaisir. Noémie dit oui, premier long métrage de la réalisatrice et scénariste Geneviève Albert, fait partie de cette dernière catégorie. Entendons-nous bien. Par déplaisir, il faut comprendre dérangeant, parfois même difficilement soutenable, et c’est là tout le brio de ce film cru et sans compromis.
Derrière le fard et les vrombissements du prestigieux Grand Prix de Montréal, Geneviève Albert, aussi habituée à la fiction qu’au documentaire, nous peint une scène sinistre, cynique, inique et effroyablement réaliste. La réalisatrice, qui s’est assuré la collaboration de véritables prostituées pour être la plus fidèle possible à la réalité, limite les plans esthétisants au profit d’une image crue. À l’aide d’une steadycam, l’objectif est toujours au plus près de Noémie et de sa réalité, dans tout ce qu’elle a de violent. Cette violence ne se limite pas au physique, aux passes — même si celle-ci serait bien suffisante —, elle est aussi d’ordre psychologique. Noémie ne prend pas d’elle-même soudainement la décision de se prostituer. Elle est minutieusement manipulée pour en venir à croire que le problème n’est pas la prostitution, mais elle et l’idée qu’elle s’en fait.
Cependant, Noémie n’est pas la seule à être manipulée. Le spectateur l’est aussi. Jouant avec maestria de son scénario, Geneviève Albert resserre d’un cran à chaque scène le piège à loup dans lequel son héroïne a eu le malheur de mettre le pied. Nous, spectateurs, contrairement aux personnages de l’histoire, savons déjà que ça va mal tourner, mais ne pouvons rien faire d’autre qu’assister, tristement et impuissants, comme Cassandre, au dénouement attendu.
Et ce qui l’attend est rude. Pour elle et pour le spectateur. Anne Claire Poirier — sous les traits de Monique Miller — s’étonnait, dans son film Mourir à tue-tête, qu’en montrant la scène de viol à un homme de son entourage, il ait été malgré tout — et malgré lui — excité par les images. Ce ne peut être le cas à aucun moment dans Noémie dit oui. Alors qu’Anne Claire Poirier avait pris le parti d’une caméra subjective pour montrer le viol du point de vue de la victime dans son intégralité, Geneviève Albert, elle, a choisi de nous épargner la passe complète pour n’en garder que les détails les plus dérangeants. Au premier client, tout va bien. Au troisième, on commence à avoir envie que ça s’arrête. Au vingtième, on supplie pour que ça s’arrête. C’est une avalanche de pratiques diverses et variées, à peine montrées, mais toutes plus insupportables les unes que les autres, client après client, que la réalisatrice prend un malin plaisir à décompter comme s’il s’agissait là aussi d’un grand prix.
En face de ces hommes, somme toute normaux, Noémie n’est guère qu’une âme à la dérive. Son interprète, Kelly Depeault, déjà acclamée dans La déesse des mouches à feu, brûle d’intensité. Son jeu subtil et nuancé était fait pour rencontrer les plans longs de la réalisatrice. Tout simplement époustouflante, la performance de la jeune actrice, dont les frêles épaules portent la quasi-intégralité du film, vous prend aux tripes et laisse une marque durable.
Vous ne verrez plus jamais le Grand Prix de la même façon. Âmes sensibles, s’abstenir.