«Inès»: à corps perdu

Rosalie Bonenfant dans le rôle principal d’«Inès»
Photo: Les productions du moment Rosalie Bonenfant dans le rôle principal d’«Inès»

Avant de confier à Rosalie Bonenfant le rôle principal d’Inès, son troisième long métrage, Renée Beaulieu (Le garagiste) l’a dirigée dans le court métrage 1805 A rue des Papillons. C’est au cours de ce tournage, à l’Université de Montréal, qu’elle y découvre l’escalier en spirale qui illustrera la descente aux enfers de son héroïne de 20 ans.

Dans ce plan en plongée, qui résume à lui seul l’idée du film, Inès (Bonenfant) est étendue en position fœtale sur le côté. Coincée entre un père qui la contraint à s’émanciper (Roy Dupuis) et une mère plongée dans une forme de coma depuis 10 ans (Noémie Godin-Vigneau) avec qui elle tente vainement de communiquer, la jeune femme s’enfonce dans la torpeur.

« Le passage de l’adolescence à l’âge adulte est un moment charnière qui met au jour les failles, les troubles, avance la cinéaste, rencontrée au bar Sans nom, celui-là même où Inès travaille comme serveuse. Je ne l’ai pas contextualisé dans l’époque comme telle, parce que j’avais plusieurs références assez proches de ce genre d’épisode très difficile lié aux troubles de santé mentale. »

Pour sortir de son marasme, Inès essaie différentes drogues, notamment grâce à un chaman (Martin Dubreuil) et à un collègue (Alexandre Pronovost). Ayant accepté de garder le chien de sa nouvelle amie (Nikki Bohm), Inès cherche du réconfort auprès d’un chanteur (Maxime Dumontier).

« Les problèmes de santé mentale d’Inès ne sont pas spécifiques à l’époque, mais ils sont probablement aggravés par certains phénomènes de l’époque. Aujourd’hui, à cause de la drogue, essentiellement. La teneur des produits trouble la perception. C’est une chose de fumer un joint et de prendre un peu d’acide en 1985, et une autre chose de prendre du GHB en 2020. »

De fait, en voulant remonter la pente, Inès met sa vie en danger plus d’une fois : « Les troubles de santé mentale affectent beaucoup de monde, mais on n’y connaît rien. On fait de l’anxiété, mais à quoi c’est lié ? Quelles en sont les conséquences ? Peut-être que les jeunes se tournent trop rapidement vers la médication, ce qui mène beaucoup vers la toxicomanie et empire les problèmes. Inès coule au fond, mais il n’y a personne pour la récupérer parce que personne ne voit ses problèmes d’identité. Ce n’est pas qu’on soit indifférent face à une telle souffrance, on n’est pas outillé. »

Pulsion de vie

 

Quand sa tante (Mélanie Pilon), qu’elle connaît à peine, s’installe chez son père, Inès se sent abandonnée par ce dernier. Au bord du gouffre, elle se livre à diverses expériences sexuelles. Dès lors, Inès évoque le personnage de Marie-Claire, professeure d’université faisant des recherches sur le désir, qu’incarnait Brigitte Poupart dans Les salopes ou le sucre naturel de la peau, précédent film de Renée Beaulieu.

« La sexualité, c’est probablement ce qui fait le plus de bien à Inès. Bien sûr, c’est creepy, mais tout est creepy dans sa vie. Il y a quelque chose de maladroit dans sa sexualité, mais elle est vivante, “groundée”, à ce moment-là. C’est un être perdu, mais qui a une force vitale. Il y avait aussi chez Marie-Claire cette animalité ; on reconnaît cette force animale aux hommes, mais pas aux femmes. C’est tellement important, la sexualité, mais c’est tellement occulté, particulièrement celle des femmes, et tellement souvent mal interprété. On la retrouve dans mes films parce que c’est ma conviction et que j’essaie de la défendre. »

Si sombre soit-il, le film n’en est pas moins un appel à la bienveillance en cette période anxiogène marquée par une pandémie qui perdure et une guerre dont on craint les conséquences.

« Le film n’apporte pas de réponses et ne dit pas quoi faire, sauf peut-être d’être à l’écoute de soi et des autres. On parle beaucoup de troubles de santé mentale ces dernières années, mais d’en parler ne règle pas le problème : la personne qui en souffre est non fonctionnelle. Médicalement, on ne connaît rien. C’est excessivement difficile de se faire soigner. Quand la personne devient dangereuse pour elle-même ou pour les autres, on trouve rapidement une solution, mais quand on est dans l’état d’Inès, on ne sait pas quoi faire. Le traitement de la santé mentale, c’est assez primitif. Beaucoup coulent à pic et ne s’en sortent pas », conclut Renée Beaulieu.

Spirale descendante

Renée Beaulieu ne donne pas dans la dentelle. Afin d’illustrer la détresse psychologique d’une jeune femme, elle y est allée à la fois de manière frontale et impressionniste. Dans son troisième long métrage, aucune place pour les dialogues psychologisants ni pour les plans esthétisants. C’est par la musique entêtante de David Thomas et la caméra intrusive de Philippe St-Gelais, qui traque sans répit Rosalie Bonenfant, laquelle à son tour s’abandonne corps et âme à ce rôle exigeant, que la cinéaste a voulu raconter la déchéance d’Inès. Et y entraîner avec elle le spectateur, qui se sent happé malgré lui par cette spirale descendante. Le Montréal qu’elle y dépeint paraît glauque, hostile et froid. Chaque personnage qu’on y croise, notamment le père, campé avec aplomb par Roy Dupuis, semble indifférent au sort de l’héroïne. D’une âpre poésie, Inès est malgré tout traversé par un sentiment d’urgence et une rage de vivre salutaires dans cette grisaille ambiante.

Inès
★★★
Drame de Renée Beaulieu. Avec Rosalie Bonenfant, Roy Dupuis, Noémie Godin-Vigneau, Maxime Dumontier, Alexandre Pronovost et Nikki Bohm. Canada (Québec), 2021, 89 minutes. Accessible en ligne avec le passeport des Rendez-vous Québec Cinéma. Au Cineplex Odeon Quartier latin, le jeudi 28 avril à 18 h 30 et à 20 h 30. En salle le 6 mai.


Leçon de cinéma. Renée Beaulieu

​Animée par Claudia Hébert. Cinémathèque québécoise, le samedi 30 avril à 17 h 30.



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