«Madeleine Collins»: la maman double

Virginie Efira dans le rôle de Judith Fauvet dans «Madeleine Collins»
Photo: EyeSteelFilm Distribution Virginie Efira dans le rôle de Judith Fauvet dans «Madeleine Collins»

Bien qu’il ne possède pas la virtuosité d’un Alfred Hitchcock ou d’un Brian De Palma, Antoine Barraud (Le dos rouge, Les gouffres) exécute un séduisant plan-séquence en guise de prologue dans Madeleine Collins. Au milieu d’une chic boutique de vêtements où les employés virevoltent autour d’une riche clientèle, une jeune femme semble visiblement peu à l’aise dans ce lieu d’opulence. La caméra la suit doucement, montrant son indécision, mais surtout sa fragilité, au point d’agiter en tous sens le personnel de l’endroit, joli ballet feutré se concluant de foudroyante manière.

Cette figure tragique, qui ne semble aucunement liée à ce qui va suivre, n’en demeure pas moins un fantôme, Antoine Barraud réussissant à retenir l’onde de choc de cet événement pendant une bonne partie du récit, accentuant l’effet de suspense. Car tout devient lisse et attendrissant lorsque surgit Judith (Virginie Efira, encore prête à tout après son passage chez Paul Verhoeven dans Elle et dans Benedetta), maman attentionnée d’une jolie petite fille et conjointe d’Abdel (Quim Gutiérrez), visiblement amoureux, mais cachant mal son embarras à la voir souvent partir plusieurs jours consécutifs pour son travail.

Or, elle ne fait pas que se promener entre la Suisse et la France comme traductrice, mais va rejoindre son autre conjoint, visiblement le plus ancien, Melvil (Bruno Salomone), chef d’orchestre à la carrière ascendante avec qui elle élève deux ados en pleine croissance — on le sait à leur mine renfrognée. Ses multiples allers-retours ressemblent à un véritable jeu d’équilibriste ; l’important est de ne pas s’empêtrer dans ses mensonges, ses horaires, ses voyages d’affaires, évoquant l’Espagne ou la Pologne sans jamais y mettre les pieds. Mais rapportant des cadeaux suintant les clichés touristiques des lieux pour duper tout le monde.

Des détours étonnants

 

Par les paysages et sa description des classes sociales, à peu près tous les personnages nageant dans un confort évident, Madeleine Collins rappelle les dilemmes moraux qui traversaient L’adversaire, d’Emmanuel Carrère, adapté à l’écran par Nicole Garcia. Les fantaisies, ou plutôt les salades, que ces menteurs pathologiques racontent à leur entourage relèvent parfois du pur délire, mais plusieurs les croient sans trop se poser de questions, comme si la vérité ferait en sorte que tout s’écroule.

Or, peu à peu, des fissures se creusent sur l’armure que ces mythomanes avaient patiemment fabriquée. Celle qui se fait aussi appeler Margot ne peut pas tout contrôler : une amie d’autrefois surgissant par hasard ; ses parents débarquant sans crier gare et bousculant la routine chronométrée de leur fille. Tout cela lui fait peu à peu perdre pied, le temps de découvrir qu’une fausse carte d’identité est sur le point d’expirer ou que des coups de fil impromptus commencent à inquiéter ses proches, surtout son fils aîné.

Ce qui s’annonçait comme une (pas très) simple histoire d’adultère emprunte des détours étonnants, allant bien au-delà de la perspective de voir cette héroïne sophistiquée s’empêtrer dans sa mythomanie au point de s’y étouffer. D’un drame conjugal, Antoine Barraud multiplie les apartés pour brouiller les pistes, entrecroisant les destinées de ces personnages dont on ignore la réelle profondeur des liens. Une succession quasi interrompue d’incidents en apparence anodins révèle des aspects encore plus troubles de cette femme aux identités multiples, à la moralité élastique, prête à tout pour conquérir l’ultime objet de son désir. Qui n’est pas nécessairement celui qu’on croit.

Est-ce que tout cela relève davantage de l’exercice de style que de la plongée psychanalytique ? Antoine Barraud cherche à nous séduire, à nous méduser, quitte à mêler les cartes et à ne pas s’embarrasser de la plate réalité. En cela, il suit la leçon de ses maîtres.

Madeleine Collins

★★★ 1/2

Drame d’Antoine Barraud. Avec Virginie Efira, Quim Gutiérrez, Bruno Salomone, Valérie Donzelli. France, 2021, 107 minutes. En salle.

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