Quand Jean-Jacques Annaud nous raconte «Notre-Dame brûle»

Jean-Jacques Annaud devant la cathédrale lors du tournage de la docufiction «Notre-Dame brûle».
Photo: David Koskas Jean-Jacques Annaud devant la cathédrale lors du tournage de la docufiction «Notre-Dame brûle».

En 1831, Victor Hugo imagina la destruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris, écrivant : « Tous les yeux s’étaient levés vers le haut de l’église. Ce qu’ils voyaient était extraordinaire. Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre les deux clochers avec des tourbillons d’étincelles, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée. »

Lorsqu’un terrible incendie se déclara le 15 avril 2019, on cita beaucoup ce passage devenu prémonitoire. Quoiqu’au vu de Notre-Dame brûle, le film très fouillé de Jean-Jacques Annaud, on comprend que ce sont, pour citer à nouveau Hugo, « les dégradations, les mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument » qui rendirent le sinistre possible en amont.

Joint à Paris, le cinéaste explique avoir vécu douloureusement le spectacle de l’incendie qui, à terme, ravagea le toit et la flèche de la cathédrale.

« Je connais très bien Notre-Dame : j’habite tout à côté, à 150 mètres. Gamin, j’y ai fait mes premières photos. J’ai été ému, comme plusieurs. Sauf que je ne pensais pas du tout faire quelque chose sur le sinistre, croyant qu’un tas de cinéastes allaient se précipiter pour faire un film — ce n’est que plus tard que j’ai découvert à quel point la réalité constituait un scénario spectaculaire et inouï. On m’a d’abord approché pour en tirer un documentaire et j’ai décliné. Mais en lisant la documentation, j’ai constaté qu’il y avait là un matériau dramatique d’une densité inimaginable et une tension digne d’un thriller. »

Au coeur du brasier

Pour raconter l’incendie qui, en 2019, fit craindre que la cathédrale Notre-Dame de Paris ne soit complètement détruite, Jean-Jacques Annaud a opté pour la docufiction. Un choix en l’occurrence heureux. En effet, le fil réel des événements est si improbable et stupéfiant qu’il rivalise avec n’importe quelle fiction. Cela étant, la minutie avec laquelle lesdits événements sont relatés dans Notre-Dame brûle, de l’arrivée matinale d’un nouveau surveillant à la stupeur initiale et au chaos subséquent, en passant par ces ouvriers travaillant sur les toits et bien sûr ces groupes venus en visite, est remarquable. Cette précision horlogère ne devient toutefois jamais un frein au drame proprement dit (ni à la critique sous-jacente des divers paliers politiques), un drame vécu à travers une multitude de regards, et que le réalisateur de La guerre du feu et de L’ours sait rendre immersif. On songe à ces incursions dans les combles d’abord pleins de pigeons et de toiles d’araignées, puis de fumée, et enfin, de flammes déchaînées qui font frissonner. À cet égard, si elle paraît d’abord terne et trop journalistique, la facture sans fard se révèle judicieuse, conférant au projet un cachet « cinéma-vérité » fort à propos. Un film à la fois instructif et captivant.

François Lévesque

Jean-Jacques Annaud confie avoir perçu dans les événements une construction « quasiment hitchcockienne » à l’œuvre avant et pendant l’incendie.

« On n’était pas préparés à ce que ce symbole de Paris et de la chrétienté parte en fumée. Je me répétais “mais c’est pas possible !” Ce que j’ai appris après avoir parlé aux intervenants s’est avéré encore pire ; encore plus invraisemblable. On n’oserait pas, si on n’était pas étayé par la réalité, inventer un tel fil des événements. Comme ce type, le seul mec qui a la clé, qui est à Versailles et qui rate son train… Tout ça est inimaginable, mais vrai. »

Le nombre d’imprévus, de mauvaises décisions et de contretemps qui ont mené à ce sinistre s’avère pour le compte ahurissant. « Je pense par exemple à ces pompiers coincés dans les bouchons, et qui n’arrivent pas alors que la Grande Dame — la star — se meurt. C’est à partir du moment où j’ai dressé la liste chronologique de tous ces contretemps que j’ai pris conscience que je tenais ma structure narrative. J’étais alors très excité. »

Une fiction du réel

 

Il est à noter que souvent, durant l’entretien, Jean-Jacques Annaud qualifie la cathédrale de « star », et pour cause : elle est la vedette, c’est-à-dire la protagoniste, de son film. L’antagoniste, c’est le feu, impitoyable et charismatique.

« On a cette immense star internationale qui est attaquée par le méchant le plus démoniaque qui soit. C’est, d’une certaine manière, le drame classique de la star mourante et des secours qui n’arrivent pas jusqu’à elle », résume le cinéaste.

Justement, avec pareils éléments, Notre-Dame brûle, qui n’est ainsi pas un documentaire mais une docufiction, aurait aisément pu être envisagé comme une fiction traditionnelle, avec un « héros », pourquoi pas un pompier… Ç’aurait à coup sûr été là l’approche hollywoodienne conventionnelle. L’idée fait éclater de rire Jean-Jacques Annaud, qui a longtemps vécu à Los Angeles.

« Me balader dans la fiction pure, j’aurais trouvé ça bidon et banal. J’aime faire des choses qui ne ressemblent pas aux autres choses. Je me suis dit : voilà une trame incroyable, je vais donc l’intégrer dans ce que je serais tenté d’appeler une “fiction réelle”. Très vite, j’ai voulu épouser les différents points de vue de tous ces gens médusés qui ont directement été touchés par ces événements — j’ai rencontré la presque totalité des gens qui ont été confrontés au drame. »

Recréer l’incendie

Du même souffle, Jean-Jacques Annaud rappelle qu’on n’en savait de prime abord assez peu sur le détail desdits événements. « Il n’y avait pas de caméras à l’intérieur pour capter le début et la progression de l’incendie. Tout cela, je devais le recréer. »

Comment ? En recourant à un mélange ingénieux de décors et de maquettes, d’effets spéciaux, évidemment et, surtout, en trouvant une bonne doublure pour la « star ». Ici, les vastes connaissances du réalisateur du Nom de la rose en matière de Moyen Âge lui furent d’un grand secours.

« Je connais bien l’architecture médiévale : j’ai fait une licence de lettres avec options histoire de l’art du Moyen Âge et histoire du Moyen Âge. Mon actrice principale étant malade et en danger d’effondrement, je savais que je ne pourrais pas beaucoup l’utiliser — on a quand même tourné trois-quatre jours à Notre-Dame. Mais bref, je savais que Notre-Dame avait été inspirée par la première cathédrale gothique de France, qui est située à Sens. Notre-Dame a en outre fait des petits, et plusieurs villes ont par la suite voulu la leur. La plus approchante que j’ai trouvée est celle de Bourges. »

En « maquillant » l’endroit et en jouant avec le champ et le contrechamp, le cinéaste put raccorder tout cela : c’est le propre du cinéma. Il n’en est pas peu fier : même le clergé de Notre-Dame s’avoua incapable de reconnaître ce qui n’avait pas été tourné sur place. L’insertion d’images d’archives et l’emploi d’interprètes, pour la plupart peu connus, contribuèrent à parfaire l’impression d’authenticité recherchée.

Au final, Jean-Jacques Annaud estime que Notre-Dame brûle possède « tous les avantages d’une fiction, mais qu’en plus, c’est la vérité ».

Notre-Dame brûle

★★★★

Docufiction de Jean-Jacques Annaud. Avec Oumar Diolo, Samuel Labarthe, Jean-Paul Bordes, Mikaël Chirinian, Jérémie Laheurte, Maximilien Seweryn. France, Italie, 2022, 110 minutes. En salle.



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