«Cow»: vie et allégories d’une vache

Andrea Arnold a filmé une vache pendant un an.
Photo: IFC Films Andrea Arnold a filmé une vache pendant un an.

Elle s’appelle Luma. Elle est une vache laitière. Lorsqu’on fait sa connaissance au début du documentaire Cow, elle est en pleine mise bas. Or, sitôt son veau venu au monde, on le lui enlève : le lait de Luma sera pour nous, et non pour son petit. En entendant plus tard les meuglements plaintifs de Luma, qui fixe l’enclos où l’on garde son nouveau-né, on a le cœur serré. De son côté, le veau cherche manifestement sa mère. C’est dire que, d’emblée, la cinéaste Andrea Arnold suscite une réponse émotionnelle viscérale.

Pour autant, son film s’abstient de tout commentaire ou critique par rapport à l’industrie laitière ou au travail des fermiers qui l’ont accueillie avec son équipe réduite pendant un an. Pas de velléité pamphlétaire, donc. Néanmoins… Les images sélectionnées au montage (d’une fluidité exemplaire) sont puissantes. Elles parlent.

Elles racontent l’histoire de Luma, une histoire en apparence banale et répétitive, mais qui s’avère aussi captivante que poignante dès lors que les phénomènes d’empathie et d’identification commencent à faire leur œuvre — c’est-à-dire dès le commencement. Identification, oui, car on ne tarde pas à discerner toutes sortes de métaphores sous la surface fermière…

En entrevue la semaine dernière, Andrea Arnold expliquait à ce propos : « Pendant le tournage, j’étais obsédée par les clôtures et les barrières amovibles : on tourne ici, et c’est la vétérinaire, on tourne là, et c’est l’abattoir… De nombreuses spectatrices m’ont en outre confié avoir vu dans le film un écho à l’enjeu du contrôle du corps de la femme, à la perte de contrôle. »

Dans l’œil cinéphile, la condition bovine se meut graduellement en condition humaine.

Âpreté et grâce

 

Il s’agit du premier long métrage documentaire de la très, très douée réalisatrice anglaise, à qui l’on doit entre autres fictions les superbes Red Road, Fish Tank et Wuthering Heights (Les hauts de Hurlevent). Cow affiche le même mélange d’âpreté et de grâce visuelles. La vie dans l’étable est filmée sans afféterie, mais les plans, si mobiles ou nerveux soient-ils, rendent compte autant d’un sens du cadre que d’une compréhension du pouvoir narratif de la composition.

Cela devient encore plus vrai lorsque, le printemps venu, on accompagne Luma au-dehors, dans des prés souvent filmés à l’heure magique. Sous un firmament pastel parsemé d’étoiles éparses, Luma goûte à quelque chose comme un répit. Ici comme dans ses films précédents, la cinéaste émaille la dureté ambiante de touches de poésie.

Mais, mais… Revenues plus tôt, voici que les outardes repartent et disparaissent dans des cieux à nouveau gris. Ramenée à l’étable, Luma donnera encore naissance à un veau qu’on lui enlèvera, en un terrible et cetera. Et le cœur de retourner dans l’étau.

« Ce que j’ai vécu dans ce projet est profond, confiait Andrea Arnold. La manière dont Luma nous a reçues a changé, a évolué en cours de tournage. Au début, elle était plus méfiante et circonspecte, puis graduellement, j’ai vraiment eu l’impression qu’elle se sentait vue par nous […] Et ça m’a fait penser à ce que ça fait, à ce que ça nous fait, de nous sentir vus, entendus, appréciés. »

À notre tour, au contact de Luma, face à son existence, on ne peut s’empêcher d’extrapoler ; on ne peut s’empêcher de se demander si, au fond, cette histoire-là n’est pas tout bonnement celle de l’humanité.

 

Cow (V.O.)

★★★★

Documentaire d’Andrea Arnold. Grande-Bretagne, 2021, 94 minutes. Au cinéma du Parc.

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