Les documentaires, ça change pas le monde, sauf que…

Bella et Vipulan, que le réalisateur Cyril Dion a suivis dans son documentaire, ont, bien sûr, du pain sur la planche. Mais ce qu’ils souhaitaient avant de poursuivre leur militantisme, c’était de bien comprendre les défis auxquels la Terre fait face.
Photo: Maison 4:3 Bella et Vipulan, que le réalisateur Cyril Dion a suivis dans son documentaire, ont, bien sûr, du pain sur la planche. Mais ce qu’ils souhaitaient avant de poursuivre leur militantisme, c’était de bien comprendre les défis auxquels la Terre fait face.

Le réalisateur et militant écologiste français Cyril Dion n’a pas peur des images fortes. Celle, par exemple, d’un mâle kauai, une espèce en disparition, qui ne trouvera jamais de femelle pour s’accoupler, tout simplement parce qu’il n’y en a plus. Celle aussi d’un hippocampe enfermé dans un sac de plastique au beau milieu de l’océan. Ou de deux adolescents, amoureux de la vie animale, visitant une usine de production de viande de lapin. Son plus récent film, Animal, propose un savant dosage d’images d’horreur et de la beauté du monde. Comme il l’a fait avec son film Demain, qui a d’ailleurs été suivi d’un Après-demain, en version télévisée, il sensibilise le public à l’ampleur des enjeux environnementaux tout en maintenant le cap sur l’espoir.

Pour l’accompagner dans sa quête, il a ciblé Bella et Vipulan, deux adolescents, sortes de versions britannique et française de Greta Thunberg, engagés dans la défense de l’environnement. En leur faisant visiter les plages polluées de l’Inde, ou rencontrer la militante écologiste Claire Nouvian, dans les coulisses du lobbying environnemental, il leur fait prendre conscience que manifester ne suffit pas, il faut agir directement sur le terrain.

Année après année, les documentaires, et même les films de fiction, qui ont pour thème l’environnement exposent leurs images d’une Terre blessée par les coupes à blanc (L’erreur boréale, 1999), les mégaporcheries (Bacon, le film, 2001), les pesticides (Goliath, 2022) ou documentent l’ensemble des désordres environnementaux causés par les humains (Anthropocène. L’époque humaine, 2018).

De son côté, Laura Rietveld lance ces jours-ci La famille de la forêt, un documentaire tourné auprès de la famille Jacob-Mathar, d’origine belge, mais qui vit de façon autosuffisante en Gaspésie. Les parents, Gérard Mathar et Catherine Jacob, et leurs trois enfants, combinent le mode de vie autosuffisant et moderne. Ils construisent leur maison, font la cueillette des champignons et l’abattage des veaux, mais écoutent les matchs de soccer en ligne. Le film vient de gagner le Prix du public du festival Vues sur mer, à Gaspé.

Alors que le dernier rapport du GIEC crie à l’urgence d’agir, la pertinence de ces films est évidente. Mais quel impact ont-ils en fin de compte ?

Un peu d’espoir pour vivre

« On est obligés d’avoir un peu d’espoir pour continuer à vivre, dit Cyril Dion, dont le documentaire Animalsort en salle ici le 15 avril. Après, je vois bien que la situation est de plus en plus compliquée, que pour l’instant, ça n’est pas du tout en train de s’arranger. Cela n’empêche pas que je vois qu’il y a des gens extraordinaires qui sont capables d’apporter des solutions. »

Selon lui, le voyage effectué par Bellaet Vipulan dans Animal, loin de les décourager, les a plutôt « transformés et revigorés ». « Ils se sentaient impuissants lorsqu’ils allaient à des marches », dit-il. Ce voyage, qui leur a fait voir le meilleur et le pire de l’environnement, des océans envahis de plastique aux forêts préservées du Costa Rica, « leur a fait envisager le militantisme d’une autre façon ». Et pour faire face à des situations compliquées, il faut souvent des experts. Aussi, Cyril Dion se réjouit de ce que l’Université Stanford ait monté un programme entièrement autour de son film Animal. « Il y a des chances que les gens qui fréquentent Stanford fassent de grandes choses dans leur vie », dit-il.

Plus de 20 ans après avoir tourné L’erreur boréale avec Robert Monderie, Richard Desjardins croit toujours que le film a eu beaucoup d’impact, même si le régime forestier du Québec, qui autorise les coupes à blanc, n’a pas, selon lui, vraiment changé depuis. Alors que les réactions au film auraient pu « faire tomber le gouvernement » s’il avait siégé à ce moment-là, c’est plutôt la commission Coulombe, sur l’étude de la gestion de la forêt, qui a répondu à la crise générée. Son rapport donnera raison à L’erreur boréale et conclura à la « surexploitation de la forêt », recommandant de la réduire d’un cinquième pour certaines espèces d’arbres. Mais depuis, le gouvernement québécois s’est plutôt évertué à modifier les terminologies pour continuer à faire la même chose, dit Richard Desjardins. Plutôt que de parler de « coupes à blanc », on parle aujourd’hui de « coupes protégeant la régénération et les sols », mais en fin de compte, c’est du pareil au même, dit-il. Le film a aussi donné lieu à la création de l’Action boréale, qui se démène encore aujourd’hui pour faire changer le régime forestier.

L’action politique avant tout

Une vingtaine d’années après avoir tourné le film Bacon, sur les mégaporcheries du Québec, le cinéaste Hugo Latulippe croit aujourd’hui que c’est par l’action politique qu’il faut changer les choses. Il s’est d’ailleurs engagé à se présenter, élection après élection, dans le Bas-Saint-Laurent, bien qu’il réfléchisse présentement à ses allégeances.

« Je ne prête pas nécessairement au cinéma le pouvoir de changer les choses », dit-il. Le 7e art est plutôt, pour lui, « une façon de communiquer entre nous ». « On regarde la marche du monde, mais ça ne change pas grand-chose aux forces en place. Les choses se changent davantage dans les parlements », dit-il.

Bacon, le film a été diffusé une centaine de fois à travers le Québec, après sa sortie en 2001. En réaction au mouvement qu’il a déclenché, « le ministre de l’Environnement de l’époque, André Boisclair, avait fait adopter un moratoire sur la croissance des mégaporcheries sur le territoire du Québec, pour faire taire les citoyens. Mais quelques mois plus tard, le gouvernement faisait lever le moratoire ».

Aujourd’hui, loin de s’améliorer, la situation empire. À l’époque, dit Hugo Latulippe, « les communautés étaient aux prises avec des projets de porcheries de 2000 cochons. Aujourd’hui, il y a des porcheries de 3999 cochons, pour ne pas dire 4000, qui sont mises en avant ».

Un problème de lobbys

 

Pourquoi ? Peut-être que la réponse se trouve dans Animal, le documentaire de Cyril Dion, lorsque la militante écologiste Claire Nouvian explique que seulement 10 % des lobbys qui font pression sur les milieux politiques représentent des organismes sans but lucratif.

Cela ne l’empêche pas de continuer le combat contre les techniques de pêche industrielle qui raclent impunément le fond des océans, ne laissant que des déserts derrière elles.

L’ensemble des lobbys, dit Claire Nouvian, doivent afficher plus de transparence, et compter davantage de représentation citoyenne.

Bella et Vipulan, les deux adolescents que Cyril Dion a suivis dans son documentaire, ont, bien sûr, du pain sur la planche. Mais ce qu’ils souhaitaient avant de poursuivre leur militantisme, c’était de bien comprendre les enjeux auxquels la Terre fait face. À cela, le documentaire environnemental demeure de première utilité.

Animal prendra l’affiche le 15 avril.
La famille de la forêt est présentement à l’affiche en salle.

 

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