«Les magnétiques»: silences, radios

En mai 1981, alors que le Québec s’engouffrait dans la déprime post-référendaire et la crise économique, la France était en liesse, célébrant l’arrivée de son nouveau président, François Mitterrand. Le pays avait exigé l’impossible, et semblait l’avoir obtenu.
En guise de prologue, des images vidéo en noir et blanc, savamment délavées, témoignent de la joie qui règne parmi la bande de Jérôme (Joseph Olivennes) et Philippe (Thimotée Robart, une révélation) dans Les magnétiques, de Vincent Maël Cardona. Or, le contraste entre les deux frères, fils de garagiste vivant quelque part en province, est saisissant : le premier, l’aîné, ne porte plus à terre alors que le second affiche une tête d’enterrement (il a voté pour Giscard…). Tout le film sera marqué par cette opposition, mais ce n’est pas le plus flamboyant qui intéresse le cinéaste, qui scrute surtout l’admiration de Philippe pour l’insolence de son frère, pour son aisance devant un micro de radio… et pour sa copine du moment, Marianne (Marie Colomb), coiffeuse et mère célibataire dont il est follement et secrètement amoureux.
Peu bavard, timide à l’excès, celui qu’on surnomme Philou s’exprime facilement lorsqu’il manipule des cassettes audio, des platines, des câbles et des vinyles, en véritable magicien du son. Ce talent impressionne Marianne, qui fait tout pour ne pas laisser voir ses sentiments, mais cela n’exemptera pas ce garçon d’allure frêle du service militaire. Véritable cassure avec son milieu plutôt ennuyeux, cette fatalité va le conduire jusqu’à Berlin, « au cœur de la guerre froide », découvrant une station de radio que fait fonctionner l’armée britannique grâce à un compatriote français, planqué là pour éviter la tyrannie des entraînements militaires. Le séjour sera riche en émotions, en péripéties et en découvertes, dont celle de la drogue.
Trouver sa voix
Philippe, et nous avec lui, se gave de musique, celle des années 1980, dans sa frange punk et new wave (Joy Division, Iggy Pop, The Undertones), marqueurs d’une époque pessimiste dont le jeune homme timoré semble l’incarnation. Narrateur de sa propre histoire, spectateur au regard souvent ironique, entre autres sur les comportements de ses compagnons d’armes, une bande de mâles alpha dont il ne veut pas faire partie, cet amoureux transi apparaît incapable de s’affirmer, et de trouver sa voix. Sa capacité à manipuler différentes sonorités, à triturer des bandes magnétiques ou à faire valser les micros — de véritables chorégraphies habilement mises en scène — font pour lui office de grands discours, et de déclarations d’amour.
Vincent Maël Cardona encapsule avec brio ce moment charnière, celui d’un pays en transition politique et celui d’un individu y cherchant sa place, réduisant au minimum le clinquant historique, souvent évoqué par de simples affiches publicitaires ou des vêtements rétro. Il signe ici son premier long métrage de fiction, déclinant patiemment ce récit d’émancipation, optant pour un héros en rien flamboyant, mais s’arrachant peu à peu à un milieu qui allait éventuellement lui couper les ailes, et la parole.
Avec son titre volontairement énigmatique, Les magnétiques souligne l’attraction ambiguë de jeunes adultes inquiets devant un avenir qu’ils jugent sombre et l’incroyable portée des ondes radiophoniques comme vecteur de transformations — politiques, sociales et musicales. Cette lettre d’adieu déclinée sur un ton mélancolique, avec en prime un clin d’œil admiratif à Rainer Maria Rilke, se présente comme une tranche de vie au temps de Mitterrand. Elle séduit grâce à l’énergie débordante de ses interprètes, tous inconnus et tous inspirés, et une nostalgie jamais sirupeuse. Ce modeste tableau d’époque fait vibrer le credo « No future » qui avait alors de beaux jours devant lui.