«La rockeuse du désert»: hommage à une pionnière

Pendant près d’une décennie, la réalisatrice Sara Nacer s’est intéressée à la vie d’Hasna El Becharia, considérée comme la première femme joueuse de guembri, cette basse à trois cordes.
Marie-France Coallier Le Devoir Pendant près d’une décennie, la réalisatrice Sara Nacer s’est intéressée à la vie d’Hasna El Becharia, considérée comme la première femme joueuse de guembri, cette basse à trois cordes.

Présenté en avant-première jeudi au festival Vues d’Afrique, puis samedi au Festival cinéma du monde de Sherbrooke, le documentaire La rockeuse du désert de Sara Nacer est un petit bijou.

Pendant près d’une décennie, la réalisatrice québécoise s’est intéressée à la vie de l’icône de la musique gnaoua Hasna El Becharia, considérée comme la première femme joueuse de guembri, cette basse à trois cordes reconnaissable à sa caisse de résonance rectangulaire. Et traditionnellement maniée par les maîtres — les mâalem — , que des hommes, jusqu’à ce que s’entête ce personnage que Sara Nacer présente comme « la plus grande féministe que je connaisse, elle qui ne sait même pas ce que ce mot veut dire ».

On pourrait dire d’une certaine manière que La rockeuse du désert débute par l’heureuse conclusion du récit de la vie d’Hasna El Becharia qui, à 72 ans, se produit toujours sur scène. Sara Nacer nous amène chez un mâalem, un de ces maîtres du diwan (le gnaoua à l’algérienne), musicien de génération en génération, passeur de tradition, qui observe ses enfants répéter le répertoire. Toutes de jeunes filles, l’une d’elles jouant même du guembri. « Aujourd’hui, une femme qui joue du guembri, c’est normal. Mais il y a 40 ans, il n’y en avait qu’une seule qui se battait contre la tradition », affirme la réalisatrice.

D’origine algérienne, la Montréalaise Sara Nacer est née à Londres, où ses parents fréquentent l’université. De l’âge de 4 à 8 ans, elle habite à Québec, où sa mère termine sa thèse de doctorat.

« J’ai eu un coup de cœur pour le Québec, et ce qui est drôle, c’est que [une fois rentrée en Algérie], je voulais à tout prix revenir à l’endroit où j’ai rencontré le père Noël », dit en riant la jeune femme qui, après des études en architecture, s’est tournée vers les communications avant de devenir productrice de spectacles et ainsi participer à la venue de musiciens algériens au festival Nuits d’Afrique ou au Festival international de jazz de Montréal.

C’est au moment de produire des concerts dans son pays d’origine qu’elle a fait la rencontre d’Hasna El Becharia, sur qui l’œil du public français s’est posé dans les années 1990. « Elle ne s’est fait connaître pratiquement qu’à l’âge de 50 ans, explique Sara Nacer. De 17-18 ans jusqu’à 50 ans, elle est cette femme qui animait les mariages dans le désert avec sa guitare électrique. C’est fou, elle n’était connue que dans sa région [de la ville de Béchar, au nord-ouest du Sahara algérien]. »

Cette première invitation, en 1999, à monter sur la scène du Cabaret Sauvage, fameuse salle du parc parisien de la Villette, fut une révélation : jamais auparavant avait-on entendu une femme jouer du guembri et défendre la tradition diwan. Des images de ce spectacle électrisant sont d’ailleurs rapportées dans La rockeuse du désert.

En 2001, la maison de disques française Label Bleu lançait son premier album, Djazaïr Johara. Hasna El Becharia ne savait même pas ce qu’était un disque avant qu’on ne lui en montre un de la mythique « mamie du raï » Cheikha Rimitti, raconte-t-elle dans le documentaire qui lui est consacré ! « C’est cet album qui l’a révélée, à l’étranger, mais aussi en Algérie. Tout d’un coup, on découvrait cette artiste, qui venait de notre pays et qui est la pionnière de la musique gnaoua au féminin », dit Sara Nacer.

Un long parcours

 

Lors de leur première rencontre, en 2011, la cinéaste montréalaise a fait deux promesses à Hasna El Becharia : lui organiser des concerts en Amérique — elle se produira ainsi au festival Nuits d’Afrique en 2013, une visite filmée par la documentariste — et faire un film sur sa vie, terminé l’été dernier.

« Ce fut un parcours du combattant pour moi, car je n’avais aucune expérience dans le cinéma. Or, j’ai dû assumer tous les rôles », dont celui de monteuse, celle qu’elle avait d’abord engagée s’étant désistée en cours de projet. « Mais je l’avais regardée travailler, alors comme je n’avais plus les moyens de m’en payer un autre, j’ai installé le logiciel et j’ai tout monté moi-même », ajoute celle qui, en 2019, a présenté son premier film, Qu’ils partent tous, un documentaire recueillant les témoignages de la jeunesse algérienne durant le Hirak, « la révolution du sourire » lancée en février de la même année pour protester contre la volonté du président Bouteflika de s’accrocher au pouvoir.

Sara Nacer pose un regard intime sur cette grande musicienne qui, à travers le récit qu’elle fait de sa propre carrière, exprime avec force la détermination qui lui a permis de prendre sa place dans un monde d’hommes. La rockeuse du désert est ainsi, comme le dit la réalisatrice, un film sur « l’évolution des mentalités [dans le monde arabe] au fil des années ». « [Avec le temps], même les esprits les plus conservateurs ont accepté de voir les femmes s’engager dans l’art. »

Hasna El Becharia n’a pas encore vu le montage final du documentaire, mais ça viendra, puisque le film sera présenté en Algérie, promet Sara Nacer. « Il faut qu’Hasna soit célébrée de son vivant. »

À l’affiche de Vues d’Afrique

Neptune Frost

Comédie musicale / science-fiction de Saul Williams et Anisia Uzeyman. Rwanda/États-Unis, 2021, 105 minutes. Présenté le 9 avril.

Poète, rappeur, musicien (il a réalisé le dernier album de Tanya Tagaq), écrivain et maintenant cinéaste, l’Américain Saul Williams et sa conjointe, Anisia Uzeyman, plantent dans le décor burundais cette histoire afrofuturiste de pirates cachés dans une mine de coltan, un minerai prisé par les manufacturiers électroniques.

Sankara

 

Documentaire de Yohan Malka. France, 2021, 93 minutes. Présenté le 8 avril.

Nous apprenions mercredi la condamnation à perpétuité de l’ex-président burkinabé Blaise Compaoré pour sa participation à l’assassinat de Thomas Sankara, souvent présenté comme le « Che Guevara africain ». Dans son film, le réalisateur et journaliste Yohan Malka rappelle l’histoire du président africain qui a mené une révolution « anticapitaliste, féministe et écolo ».

La rockeuse du désert

Le documentaire sera présenté à Montréal le 7 avril à 20 h 30 et le 9 avril à 20 h 15 dans le cadre du festival Vues d’Afrique. Il sera aussi présenté au Festival cinéma du monde de Sherbrooke le 9 avril à 15 h 30.



À voir en vidéo