Jeux de miroirs pour jeu de massacre dans «X»

L'équipe de cinéastes en herbe marche à son insu vers l'abattoir dans le film «X» de Ti West.
Photo: A24 L'équipe de cinéastes en herbe marche à son insu vers l'abattoir dans le film «X» de Ti West.

Depuis le succès du film The Texas Chainsaw Massacre (Massacre à la tronçonneuse), en 1974, on ne compte plus les récits de jeunes automobilistes urbains trucidés par des ploucs sanguinaires lors d’une malheureuse escapade rurale. Sachant cela, et à l’heure où un énième remake-reboot-suite du chef-d’œuvre de Tobe Hooper cartonne sur Netflix, on pourrait croire que le film X (V.F.), au vu de son résumé, ne s’avérera qu’une millième resucée. Ce serait se méprendre sur son auteur, le scénariste, réalisateur et monteur Ti West.

West s’est d’abord illustré avec l’excellent The House of the Devil, qui pastichait avec brio le cinéma d’horreur du début des années 1980, puis avec The Innkeepers, récit d’hôtel hanté aux allures de variation minimaliste de Shining. Le cinéaste n’aime pas simplement l’horreur : il aime l’histoire de l’horreur et la manière dont le genre s’est déployé sur le grand écran au fil du temps. Dans le très gore X, reçu avec enthousiasme à SXSW, c’est patent jusque dans le grain de l’image.

Campé en 1979, le film met en scène « des jeunes automobilistes urbains » isolés dans une ferme décatie rappelant beaucoup celle immortalisée en 1974. À la différence qu’eux, en un premier détournement de cliché, ont choisi d’être là, la bande ayant loué l’endroit afin d’y tourner un film porno.

Cela, à l’insu de Howard et Pearl, les propriétaires octogénaires. Lorsqu’ils découvriront le pot aux roses, les vieux époux laisseront libre cours à un terrible courroux. Or, en un autre détournement de lieu commun, la sexualité débridée affichée par la jeunesse n’est pas punie, mais bien enviée par les maîtres de céans, qui tuent moins pour châtier que par frustration.

À ce propos, troisième exemple de détournement, X traite la sexualité chez les jeunes personnages avec un sens marqué du ridicule par l’entremise du tournage du film porno. Le sexe n’est réellement érotique que lors d’une scène d’amour entre Howard et Pearl.

Ludisme sous-jacent

 

La redirection de poncifs se poursuit jusque dans l’ordre des victimes : contrairement aux slashers traditionnels, qui sacrifient en premier des personnages féminins souvent sexualisés sans raison, ce sont ici des messieurs à moitié nus qui périssent d’abord. L’humour noir inhérent à ces passages (cette paire de bobettes !) s’apparente à une critique par l’absurde dudit poncif.

Ultime détournement : l’emblématique survivante finale (ou final girl) ne correspond à aucune des deux versions typiques, soit la gentille ingénue ou la guerrière masculinisée. Celle de X pourrait être une sœur spirituelle de la protagoniste du pareillement subversif Revenge, de Coralie Fargeat.

Intégrée çà et là, une pléthore d’hommages atteste du ludisme qui court sous la surface horrifique. Sauf que West établit rapidement qu’il ne se limitera pas à un pot-pourri référentiel ou à une entreprise de déconstruction narrative. De fait, les hommages en question sont obliques ; le cinéaste ne semble pas tant souhaiter étaler sa cinéphilie que lancer les cinéphiles sur de fausses pistes. Quant au parti pris d’inverser les diktats chers au genre, il s’inscrit dans un dessein plus vaste, X étant aussi un fort intelligent, et jamais prétentieux, film sur le cinéma.

Lors des scènes détaillant le tournage de leur film de fesses, les pornographes amateurs renvoient à Ti West et à son équipe qui, avec plus de savoir-faire certes, tournent leur film d’horreur par-delà la mise en abyme. D’ailleurs, Ti West ne craint pas l’autodérision, le personnage du réalisateur se révélant le plus pathétique : il faut le voir faire des remontrances à sa copine preneuse de son pas trop à l’aise au départ, arguant que les deux actrices sont des femmes libérées et que ce film porno, c’est de l’art… jusqu’à ce que ladite copine décide d’elle-même de jouer dans le film. Savoureux.

Jeux de miroirs

 

L’intérêt principal de Ti West réside toutefois autre part. En l’occurrence, dans la relation trouble, et pour l’essentiel silencieuse, qui se tisse entre Pearl et Maxine. Femme d’allure quasi spectrale, Pearl (à qui West a consacré un antépisode à paraître) développe une obsession pour Maxine, aspirante actrice obnubilée par la célébrité.

Entre ces deux personnages en apparence antithétiques, de fascinants jeux de miroirs s’opèrent, ici grâce à un montage parallèle virtuose, là en recourant à des écrans partagés ou à des doubles focales à la De Palma.

Bref, sous couvert d’un de ces exercices de style nostalgiques dont il a le secret, Ti West parvient à nouveau à surprendre. À la différence notable que, dans X, le cinéaste pose un regard aussi pénétrant que satirique sur sa propre pratique. Ce qui fait de ce cru-ci son plus ambitieux et son plus abouti.

X (V.O. et V.F.)

★★★★

Film d’horreur de Ti West. Avec Mia Goth, Brittany Snow, Martin Henderson, Jenna Ortega, Scott Mescudi, Stephen Ure, Owen Campbell. États-Unis, 2022, 106 minutes. En salle.

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