«Jane par Charlotte», le regard d’une fille sur sa mère, et l’inverse
![«C’est ce qui me touche aujourd’hui: même si les gens ne nous connaissent pas forcément très bien, ce rapport mère-fille, lui, touche. […] Tout le monde a des rapports complexes avec ses parents», raconte la réalisatrice Charlotte Gainsbourg.](https://media1.ledevoir.com/images_galerie/nwd_1158171_929148/image.jpg)
L’actrice et musicienne Charlotte Gainsbourg était de passage à Montréal pour présenter son premier film à titre de réalisatrice. Tournant sa caméra vers Jane Birkin, elle signe un documentaire intimiste, Jane par Charlotte, qui nous en dit presque davantage sur sa propre relation avec sa célèbre mère. « C’est aussi ce que Jane m’a dit lorsque je lui ai demandé si elle est heureuse du portrait que j’ai fait d’elle. Elle m’a dit : “Mais ce n’est pas un portrait de moi, c’est aussi un portrait de toi, c’est le portrait d’une fille et sa mère” », commente Charlotte Gainsbourg, en entrevue avec Le Devoir.
Limpide, léger, mais poignant, le premier documentaire de Charlotte Gainsbourg charme autant par ses petites révélations que par ses scènes maladroitement tournées lui donnant des airs de films de famille. On en voit d’ailleurs quelques-uns, de ces vieux films 8 mm de vacances à la plage projetés sur un mur, montrant papa Serge et la grande sœur Kate Barry alors que Jane et Charlotte échangent avec nostalgie leurs souvenirs de leurs deux grands disparus.
Un rapport mère-fille universel
« Pour moi, le moment le plus émouvant du film, c’est lorsque Jane parle de ma sœur, et y’a ces écritures [projetées] sur son visage. Je me suis d’abord dit : “Pourquoi ai-je tourné ça ainsi ? C’est chiant et ça dure longtemps — et pourquoi elle a le visage barré comme ça ?” Et ma mère m’a répondu : “Mais non, heureusement… Ça me protège quelque part, puisqu’on ne me voit pas trop.” Comme quoi on peut trouver du sens partout et on peut s’en accommoder », raconte Charlotte, qui a aussi retenu cette importante leçon dans sa nouvelle carrière de documentariste : « Y’a plein de moments comme ça dans le film où je me dis : “Oh merde, mais si j’avais filmé ça comme ça plutôt que…” Mais bon, quand on fait un documentaire, y’a pas de deuxième prise. »
Jane par Charlotte — un titre en clin d’œil au film biographique Jane B. par Agnès V., signé Varda et paru en 1988 — parle moins de l’illustre carrière de Birkin que de la grande femme qu’elle est toujours à 75 ans. Charlotte pose un regard sur sa mère, et « c’est ce qui me touche aujourd’hui : même si les gens ne nous connaissent pas forcément très bien, ce rapport mère-fille, lui, touche, poursuit-elle. Là où je me disais que j’étais un peu seule dans ce rapport complexe que nous avons ensemble toutes les deux, au fond, ce n’est pas vrai. Tout le monde a des rapports complexes avec ses parents », célèbres ou pas.
L’idée de tourner à nouveau l’œil de la caméra sur Jane Birkin — qui a passé sa vie à voir son reflet dans la lentille d’une caméra ou d’un appareil photo — est venue à Charlotte peu avant cette pandémie qui l’a fait « déguerpir » de New York pour retourner vivre en France, à l’été 2020. À l’origine, elle imaginait un documentaire plus classique dans sa forme, plus près de la carrière de sa mère, « le plus général possible ». Or, dès les premiers jours de tournage, le concept est remis en question : dans l’une des premières scènes du film, on la voit dans un salon de thé japonais, plaçant ses questions notées sur papier devant elle, lançant nerveusement cette première entrevue avec Jane.
« Mais je ne pouvais pas faire une entrevue comme si je ne la connaissais pas ! Je me suis beaucoup demandé ce que je devais lui demander et, du coup, j’ai écrit des questions spontanées, personnelles, pour essayer de trouver un angle et d’entrer tout de suite dans le vif du sujet. Et ça l’a effrayée, elle ne voulait pas du tout de ça, elle avait l’impression que je profitais de la caméra, de la présence de l’équipe, pour la prendre en otage. Après ce moment, elle m’a dit : on arrête. »
Intimité
Le tournage s’est poursuivi avec sa petite équipe. Après le Japon, où Jane donnait son concert Birkin/Gainsbourg. Le symphonique (dont on a tiré un album du même nom, paru en 2017), direction New York pour une nouvelle représentation, de nouvelles questions, de nouvelles images. « Après, la monteuse de mon film m’a dit qu’il n’y avait pas assez d’images, me suggérant de prendre une caméra, sans attendre le reste de l’équipe de tournage, et d’aller la filmer. C’est vraiment grâce à elle que je suis partie avec ma fille, la mettant en scène dans tout ça, et que j’ai compris que ce qui m’intéressait aussi, c’était de voir ma mère dans la cuisine, au quotidien, son côté grand-mère. Un nouveau thème se dégageait, spontanément. »
Je me suis beaucoup demandé ce que je devais lui demander et, du coup, j’ai écrit des questions spontanées, personnelles, pour essayer de trouver un angle et d’entrer tout de suite dans le vif du sujet
Le spectateur devient alors témoin de ces scènes très intimes où les deux femmes discutent à bâtons rompus, par exemple de leur rapport au sommeil (Jane prend des somnifères depuis pratiquement l’adolescence) et au deuil. « Après, on m’a demandé : “Puisque vous êtes pudique, Charlotte, n’est-ce pas impudique de faire un tel film ? Quelle est la limite de votre pudeur ?” Or moi, j’ai eu à faire avec cette question depuis que je suis née. C’est depuis que je suis toute petite qu’il y a des photographes — on organisait de faux petits-déjeuners pour Paris Match… Et puis après, dans les années 1980, mes parents se sont séparés, alors on a eu affaire aux paparazzis, mais là, c’est devenu moins rigolo parce qu’ils nous traquaient. Après, j’ai commencé à jouer dans des films, donc je donne des interviews, durant lesquelles on me demande de parler de mes parents. Donc je comprends que c’est ce qui intéresse les journalistes, alors je me bloque et je cesse d’en parler. »
« En partant m’installer à New York [en 2013], j’ai compris que j’avais besoin de prendre le large et de me reconstruire ailleurs. J’ai pris goût à l’anonymat, les gens se foutaient complètement de qui j’étais, c’était de l’air frais pour moi. Or, en revenant en France, j’avais tout d’un coup moins de gêne à parler de mes parents ; je comprends aussi que notre vie est étalée depuis toujours — y’a tant de livres écrits sur mon père que les gens connaissent mieux sa vie — ou plutôt les événements de sa vie — que moi. Donc oui, ce film est impudique, mais je ne révèle rien de bien nouveau. »
Puisqu’après tout, on sait déjà que Jane est magnifique.