Ti West ou la nostalgie de l’horreur

Dans l’espoir de s’enrichir grâce à l’industrie naissante des clubs vidéo, une équipe de cinéastes néophytes débarque dans une ferme du Texas afin d’y tourner un film porno, ce qu’ignorent Pearl et Howard, le couple âgé qui leur a loué l’endroit. Or, lorsque les vieux époux découvrent le pot aux roses, les chairs exhibées ont tôt fait de se colorer de rouge foncé. Et voici les jeunes gens qui, lors d’une nuit funeste, tentent d’échapper au massacre.
Campé en 1979, le nouveau film de Ti West, intitulé avec à-propos X, s’avère beaucoup plus riche de sous-texte que ne le laisse présager son frivole résumé.
Pour mémoire, on doit au cinéaste américain l’excellent The House of the Devil, exercice de style pastichant avec brio le cinéma d’horreur du début des années 1980, dans lequel une gardienne d’enfants se retrouve lacible d’un complot démoniaque. Affichant un souci du détail bluffant, X pourrait, comme son prédécesseur, avoir été tourné à l’époque qu’il dépeint. Variation minimaliste, et terrifiante, sur le Shining de Stanley Kubrick, son subséquent The Innkeepers offre un très habile récit d’hôtel hanté aux accents surannés. Cinéaste nostalgique, Ti West ? On le lui a demandé.
« Oui, je suppose que je suis nostalgique, admet le réalisateur. Mais dans le cas de X, j’ai choisi l’année 1979 pour des raisons bien précises. C’est à cette époque que le lien entre les producteurs et les consommateurs est devenu plus direct, avec l’émergence des clubs vidéo. Donc, d’un point de vue narratif, c’était intéressant, ça avait du sens ; ça justifiait la démarche des personnages. »
La décennie 1970 est pour le compte la favorite de Ti West.
« Dans le cinéma américain, les années 1970 étaient dominées par une approche plus “auteuriste” [le mouvement Nouvel Hollywood]. Les films grand public étaient audacieux et vénéraient le métier, l’art cinématographique. Même les films d’exploitation reposaient sur des concepts bizarres et originaux. »
À ce chapitre, l’un des films d’exploitation les plus célèbres d’alors est sans conteste The Texas Chainsaw Massacre (Massacre à la tronçonneuse), de Tobe Hopper, sur de jeunes automobilistes de la ville dont fait bombance un clan de ploucs cannibales. Tant par son contexte que son esthétique, X évoque ce film phare, mais aussi le film suivant de Hopper, Eaten Alive (Le crocodile de la mort), avec ce crocodile qui rôde sur la propriété. En fait, les hommages sont nombreux, mais parfaitement intégrés, jamais gratuits.
Victimes mémorables
Toujours en regard de l’histoire du cinéma d’horreur, l’année 1979 est intéressante, car elle correspond à une période transitoire. En cela que si les années 1970 furent justement fécondes en propositions insolites, les années 1980 virent l’avènement du slasher en série, avec suites infinies et personnages archétypaux destinés à être les victimes de tueurs fous parfois interchangeables. En positionnant son film sur la ligne médiane, Ti West réunit le meilleur des deux ères, soit un jeu de massacre à forte teneur en gore, mais peuplé de personnages mémorables plongés dans un récit ambitieux.
« Quand les personnages ont une épaisseur, on s’attache plus facilement à eux. Par conséquent, on a tendance à penser qu’ils vont survivre, parce que l’horreur nous a souvent habitués à ce que les victimes soient des personnages unidimensionnels. Vous savez, faire un film est long et compliqué, et me borner à filmer des mises à mort de personnages anonymes… je ne sais pas : c’est sans intérêt. C’est drôle, parce qu’au fond, dans la plupart de mes films, c’est comme si les personnages principaux avaient été parachutés par erreur dans une histoire d’horreur. »
C’est certainement le cas de l’équipe de tournage malchanceuse de X. D’ailleurs, pourquoi, spécifiquement, mettre en scène le tournage d’un film porno dans le cadre d’un film d’horreur ?
« Là encore, l’époque choisie est intéressante. Car pour tourner un film, il fallait avoir des contacts à Hollywood. Mais pas pour tourner un film porno : outre le marché de la vidéo qui débutait, il y avait des cinémas spécialisés. C’était pareil pour l’horreur, avec les cinémas de type grindhouse. Les films pornos et les films d’horreur de ce temps-là sont très liés, je trouve, parce qu’il était justement possible de les tourner de manière indépendante, en dehors d’Hollywood. »
Mais il y a plus. En effet, Ti West souhaitait utiliser la conception dudit film de fesses comme moteur humoristique. « À l’image sexy et sulfureuse qu’on peut avoir d’un tel tournage, je voulais opposer une réalité technique pas sexy du tout, voire franchement ridicule. Pour moi, recourir à l’humour en horreur va de soi, pour alléger la tension, mais aussi pour mieux surprendre, parce qu’une fois détendu, on est plus facile à effrayer. Et en même temps, ça reste la description d’un tournage, et j’aimais l’idée de montrer comment un film se tourne, dans l’espoir, peut-être, que ce film dans le film incite le public à porter davantage attention à certains de mes choix de mise en scène. »
Sexualité réprimée
La juxtaposition du tournage du film porno et de l’horreur qui se prépare permet également d’explorer les thèmes de la répression sexuelle, de la bigoterie et du vieillissement, notamment. Par exemple, Pearl, la maîtresse de céans octogénaire, se languit de son conjoint Howard, qui lui n’est plus en mesure de la satisfaire. Leur frustration respective vire à la pulsion homicide face à la désinvolture de ces jeunes gens dénudés. Et la sexualité réprimée de se muer en violence exprimée…
Sauf que, contrairement aux maniaques des slashers de l’ère Reagan, qui eux punissaient la sexualité des jeunes personnages, Pearl et Howard envient cette sexualité. Pearl, en particulier, semble obsédée par Maxine, l’aspirante actrice qui ne pense qu’à devenir célèbre, n’importe comment, à n’importe quel prix.
« À plusieurs égards, Pearl etMaxine sont complémentaires », suggère Ti West. On ne dévoilera pas jusqu’à quel point, sinon pour dire que le cinéaste a fait un choix de distribution très avisé en la matière.
Sur le plan technique, X est pour le compte le film le plus achevé de Ti West. « Le fait de montrer le tournage d’un film comme dispositif narratif m’a forcé à réfléchir à la mise en scène comme jamais auparavant », conclut-il.
Bref, hormis sa copieuse nudité (hommes-femmes, jeunes-vieux) et ses trucages sanguinolents, X donne beaucoup à voir et à penser.
Présenté au festival SxSW le 13 mars, le film X prend l’affiche le 18 mars.
La plus-value A24
L’annonce, faite en 2020, que le prochain film de Ti West paraîtrait sous la bannière A24 mit en liesse les amateurs d’horreur. De fait, le cinéaste ne pouvait qu’être à sa place dans cette maison de production qui a énormément contribué à élargir les horizons du genre ces dernières années, avec des titres tels Under the Skin (Sous la peau), The VVitch (La sorcière), Hereditary (Héréditaire), Midsommar (Midsommar Solstice d’été), ou Saint Maud (Sainte Maude).
« Ils sont les seuls à qui j’ai proposé le scénario, révèle Ti West. Ils ont un respect des cinéastes, à chaque étape. Ce projet-ci nécessitait davantage de moyens que mes précédents, et ils n’avaient pas peur de prendre ce risque. Aspect non négligeable : quand tu travailles avec A24, ça facilite énormément la recherche d’interprètes et de collaborateurs talentueux, parce que tout le monde se dit : “Si A24 a embarqué, ça doit vraiment être intéressant.” » Avec X, A24 a encore eu du flair.