«After Yang»: de l'humanité des robots

À la question « Qu’est-ce qui fait de nous des êtres humains ? », les réponses varieront. Il y a évidemment les caractéristiques physiques, mais aussi le langage, l’intelligence, etc. D’aucuns pencheront plutôt pour l’intangible : complexité des émotions, faculté de rêver, croyance en l’âme… L’aspect de la mémoire est fascinant également. Mais qu’en est-il, justement, d’un robot d’apparence humaine qui posséderait non seulement une mémoire, comme n’importe quel ordinateur, mais aussi un véritable enchevêtrement de souvenirs ? Des souvenirs, comme chez l’humain, souvent dénués d’une fonction particulière, et amassés au gré d’une existence peut-être moins synthétique et plus organique qu’il n’y paraît… Fable futuriste dont l’échelle minimaliste cache de grandes idées, After Yang interroge tout cela, et bien davantage.
Tiré d’une nouvelle d’Alexander Weinstein, ce deuxième film écrit, réalisé et monté par Kogonada (Columbus), connu des collectionneurs pour ses essais vidéo produits par Criterion, ratisse en effet très large sur les plans tant existentialiste et philosophique qu’éthique.
Le film met en scène Jake (Colin Farrell) et Kyra (Jodie Turner-Smith), couple qui a adopté la petite Mika (Malea Emma Tjandrawidjaja) et qui, peu après, a acheté à cette dernière Yang (Justin H. Min), un « techno sapiens » voué à lui servir de frère aîné. Très liée à Yang, Mika est inconsolable lorsqu’il cesse soudainement de fonctionner. Or, au fil de ses démarches pour réparer Yang, Jake découvre que Mika n’était pas la seule à être devenue en quelque sorte dépendante de ce quatrième membre de la famille : chacun de son côté, Kyra et lui l’étaient tout autant. On pourra voir là une métaphore de la dépendance technologique comme rempart à la solitude.
Qui plus est, et c’est l’aspect le plus poignant du film, il s’avère que Yang avait dans sa cartouche mémorielle ce qu’il convient d’appeler un jardin secret, spécificité tout humaine s’il en est.
En parallèle à la quête de Jake, After Yang brosse un portrait familial éminemment sensible et touchant. À noter que dans ce futur proche, la pluriculturalité est la norme : un détail que le cinéaste montre en toute simplicité plutôt que de chercher à l’expliquer. Il en va de même pour la présence des clones (les fillettes du voisin) et des techno sapiens comme Yang : l’action et de brèves allusions, par opposition à ces lourdes mises au point narratives dont abusent trop de films de science-fiction, établissent d’emblée que telle est la nouvelle normalité. Le film est pour le compte riche de silences parlants. C’est de la science-fiction résolument contemplative.
À cet égard, Kogonada opte pour une approche poétique par l’entremise d’un montage fluide et volontiers impressionniste. Le cinéaste soigne ses compositions, convoquant autant Yasujirō Ozu que Wong Kar-Wai, sans y perdre son identité. Des images restent, comme ce plan où Mika observe les poissons dans un aquarium, avec reflet renversé de son visage, ou encore ce soleil couchant lointain vu à travers un entrelacs de branches…
Il se dégage de la facture à dominance de pastels une douceur, une sérénité, impression renforcée par un jeu uniformément intériorisé, une lumière douce, et des notes de piano apaisantes. C’est ce qui distingue le plus After Yang des brillants mais plus mouvementés Blade Runner et A.I. Artificial Intelligence (A.I. Intelligence artificielle), qui réfléchissaient déjà sur le statut du robot, de l’humain artificiel ou des deux dès lors que la ligne entre le synthétique et l’organique se brouille.
En parcourant la mémoire de Yang, représentée par une ingénieuse — et magnifique — voie lactée cérébrale, Jake révise sa perception de cet « autre » qu’il appellera son fils lors d’une scène clé. Et si, à l’instar de Roy Batty dans le chef-d’œuvre de Ridley Scott, Yang était plus « humain » qu’un humain ? À chacun sa réponse, dans un film qui a autant d’intelligence que de cœur.