«Encanto», un film qui ne plaît pas qu’aux enfants

Représentation hispanophone, santé mentale et femmes en tête d’affiche: le dernier Disney charme nombre d’adultes.
Photo: Disney Représentation hispanophone, santé mentale et femmes en tête d’affiche: le dernier Disney charme nombre d’adultes.

Plus récent long métrage d’animation de Disney, Encanto a su gagner le cœur des petits, mais aussi des grands alors qu’une frénésie a envoûté les jeunes adultes au cours des dernières semaines. Que vous ayez écouté ou non le film de Byron Howard et de Jared Bush, les chances sont grandes que vous ayez entendu l’air « We don’t talk about Bruno, no, no, no ! », et pour cause.

Ce succès musical, loin des solos mélancoliques ou des ballades puissantes qu’on louange généralement chez la compagnie aux grandes oreilles — il suffit de penser à Libérée, délivrée issue de la Reine des neiges —, a atteint le numéro un sur Spotify aux États-Unis moins d’une semaine après sa sortie sur Disney+ à la fin de décembre 2021. La chanson de style Broadway a même su détrôner Easy On Me d’Adele au début du mois de février, en plus de devenir un son viral sur la plateforme TikTok.

Et bien que la musique colorée signée par le compositeur Lin-Manuel Miranda, qui a également travaillé sur Hamilton, soit l’une des raisons récurrentes pour l’adoration qui est faite d’Encanto, la sensibilité du film aux enjeux contemporains pourrait expliquer pourquoi le long métrage d’animation est tant prisé des adultes.

« Je l’ai vu au moins trois fois », explique la trentenaire Melany Delgado à propos d’Encanto, originalement sorti en salle en novembre. D’origine colombienne tout comme Mirabel Madrigal, protagoniste du 60e film d’animation de Disney, Melany dit avoir adoré la musique et les couleurs vives de l’œuvre, qui lui ont rappelé son pays. Le souci du détail d’une représentation qui se veut réaliste a aussi grandement agrémenté ses écoutes répétées.

La couleur de peau

 

« La diversité dans la couleur des peaux des personnages m’a plu. Parfois, on ne s’en rend pas compte, mais chez les Latino-Américains, il y a vraiment de toutes les couleurs et caractéristiques physiques », détaille celle qui a emménagé au Québec il y a 14 ans. Elle salue aussi les acteurs anglophones qui ont prêté leur voix à l’histoire féérique, ceux-ci étant pour la plupart colombiens ou ayant des origines de son pays.

Ce qu’elle a toutefois préféré de la représentation hispanophone dépeinte dans Encanto est l’histoire de la famille Madrigal, à laquelle elle a pu s’identifier. Elle pense notamment à l’histoire d’Abuela, la grand-mère de Mirabel qui a dû quitter sa ville et abandonner sa maison, tentant de fuir un conflit armé.

« J’ai eu de la famille qui a eu à fuir la maison à cause de la violence. Mais de voir ça à l’écran, de savoir que des enfants vont comprendre et vont peut-être vouloir s’éduquer sur l’histoire derrière ça, je trouve ça très important, indique-t-elle. Ce n’est pas juste ma famille qui a vécu ça. Ça arrive toujours et à tous les jours. »

Y voir son anxiété

 

« Disney, dans Encanto et dans nombre de ses productions, joue à plein sur ce processus “de projections-identifications” », explique l’anthropologue et professeure à l’École des médias de l’UQAM Mouloud Boukala. Il s’agit de l’idée de proposer au public un personnage ou une histoire à travers lequel il va se reconnaître.

« Surfant sur le succès de Coco (2017), le studio propose une nouvelle production s’adressant à tous les âges, aux anglophones et hispanophones ainsi qu’aux personnes ayant vécu une expérience migratoire », détaille celui qui est aussi titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les médias, les handicaps et les (auto)représentations.

Les personnages principaux comme Mirabel et ses deux sœurs aînées, toutes trois volontairement imparfaites, illustrent chacune à leur façon une certaine anxiété de performance. D’autres thèmes liés à la santé mentale comme les traumatismes intergénérationnels y sont largement abordés dans l’œuvre.

J’ai eu de la famille qui a eu à fuir la maison à cause de la violence. Mais de voir ça à l’écran, de savoir que des enfants vont comprendre et vont peut-être vouloir s’éduquer sur l’histoire derrière ça, je trouve ça très important.

 

L’autrice et sexologue Amélie Stardust juge que « la génération Z et les millénariaux se retrouvent assurément dans ce film d’animation ». Selon celle qui critique des œuvres cinématographiques comme passe-temps, « beaucoup de discussions sur les traumas intergénérationnels circulent sur TikTok ».

Melany Delgado pense que ce film résonne chez les jeunes adultes parce qu’« il y a moins de tabous par rapport à la santé mentale qu’il y avait avant ». Selon elle, les millénariaux et les plus jeunes sont davantage enclins à « aller chercher de l’aide » et à en discuter entre eux que les générations précédentes.

Le long métrage se présente ainsi comme un tremplin à la discussion. Selon le chercheur Boukala, « le film pose la question suivante : comment contribuer à un projet commun (familial et sociétal) sans pouvoir, don ou talent particulier, là où la performance et la perfection sont devenues la norme ? » Cela se traduit auprès « des jeunes adultes “ordinaires” par comment répondre aux injonctions performatives exigeantes, récurrentes imposées au sein de la fratrie, de la famille et de la société ? »

Avec cette question, centrale au film d’animation, il était tout naturel que l’anxiété vécue par les sœurs Madrigal trouve un écho chez les générations Y et Z qui s’exprimaient déjà sur leur santé mentale.

Les femmes mises en avant

 

En plus de cette représentation de la diversité et d’un discours sensible à l’égard de l’anxiété, le film d’animation positionne les femmes au cœur de son intrigue ; un discours qui plaît grandement aux jeunes adultes.

Amélie Stardust souligne d’ailleurs que « la romance n’est pas le moteur central des motivations des personnages ». Elle mentionne aussi que l’œuvre n’a aucun souci à passer le test Bechdel-Wallace qui veut qu’à au moins un moment au cours du film, deux femmes nommées parlent entre elles d’autre chose que d’un homme.

« Animée de justice et d’égalité, Mirabel lutte pour ses droits, refuse d’être marginalisée et accepte encore moins un destin scellé et imposé. » Pour M. Boukala, c’est ce qui a créé ce succès phénoménal. « Le processus et la construction identitaires ainsi que les idéaux de l’héroïne rencontrent aisément ceux vécus par les jeunes adultes », conclut-il.

★★★★ 1/2

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