«Haute couture»: filer le déjà vu

Pour Esther, c’est le dernier défilé. La première d’atelier chez Dior, qui dirige tous les doigts de fée qui donnent vie aux robes, s’apprête à prendre sa retraite. Seule, désespérément seule, elle vit pour son métier. Jusqu’à ce qu’un matin, elle se fasse voler son sac à main dans le métro par Jade, une jeune de cité désœuvrée. Par superstition ou par mauvaise conscience, Jade rapporte à Esther son sac. La couturière voit alors dans ses doigts habiles un potentiel qu’elle décide de mettre au jour en prenant cette parfaite inconnue comme apprentie dans la prestigieuse maison de haute couture.
L’écrivaine et réalisatrice Sylvie Ohayon continue sur sa lancée en nous racontant, après Papa Was Not a Rolling Stone (2014), une nouvelle histoire de jeune femme issue d’un milieu défavorisé cherchant à s’émanciper. Disons-le tout net, le scénario de Haute couture ne brille pas vraiment par son originalité. Seul le milieu qui lui sert de décor ne tient pas du vu et revu : celui des « cousettes » des grandes maisons de couture, autrement dit celles qui travaillent dans l’ombre des génies de la mode sur lesquelles les films et séries biographiques se multiplient depuis quelques années.
La réalisatrice prend d’ailleurs grand soin de nous présenter ces coulisses du glamour telles qu’on peut les fantasmer, à grand renfort de décors plus prestigieux que réalistes — les exigences techniques du travail sont en effet moins photogéniques — et d’une photographie au rendu poudré, presque diaphane, qui sublime les mousselines, tulles et autres taffetas pastel.
La dextérité manquée
« La beauté du geste » nous promet la phrase d’accroche. Pari peu réussi, il faut l’admettre. Le film manque cruellement de gros plans pour nous montrer ce fameux geste de la couturière, la dextérité qui fait toute la beauté de son travail. Sylvie Ohayon garde sa caméra à distance déraisonnable, comme si elle avait peur de faire un faux pli. Pire encore, elle est souvent mal placée, si bien qu’on aperçoit tout juste le travail d’orfèvre auquel le personnage d’Esther (Nathalie Baye) a dédié sa vie.
Et si la transmission de cette passion fonctionne sur Jade (Lyna Khoudri), le spectateur, en revanche, passe malgré lui à côté, faute de pouvoir s’en imprégner. Les actrices qu’on voit à l’œuvre à l’image donnent le change de loin, mais ravir le spectateur en lui montrant la magie des « cousettes » à l’ouvrage aurait nécessité des doublures, mains filmées au plus près. Elles seules auraient su appuyer le laïus d’Esther sur la valeur du savoir-faire, tirade la plus inspirée du film qui pourrait presque tenter certains de changer de carrière.
Casting haute couture
La force du film réside surtout dans sa distribution de choix, faute d’avoir les meilleurs dialogues. En effet, lorsqu’ils se veulent intimistes, ceux-ci ont une fâcheuse tendance à trop rester à la surface des choses ou à se cantonner à des répliques convenues. La grande Nathalie Baye compense par sa prestance habituelle pour asseoir son personnage de bourreau de travail qui vit son départ prochain à la retraite comme une mise au tombeau.
Elle parvient même à nous faire sourire lorsqu’elle donne, dans le métro, une leçon de mode à deux gamins en survêtements Nike « dernière collection », persuadés que c’est la marque qui fait le vêtement, comme l’habit ferait le moine. En face de Baye, la jeune Lyna Khoudri a un mentor de choix pour continuer à faire ses armes après avoir obtenu le César du meilleur espoir féminin pour Papicha en 2020. Le duo fonctionne, mais la prestation des deux actrices principales se ferait presque éclipser par le second rôle que tient Clotilde Courau. L’actrice devenue princesse de Savoie joue une mère de cité bigote et dépressive savamment dosée.
Distrayant sans être particulièrement mémorable, on préférera à Haute couture, dans la catégorie mode, Yves Saint-Laurent ou Coco avant Chanel, et dans la catégorie parcours d’émancipation, les films Intouchables ou carrément Nikita.