«BigBug»: une bulle futuriste, vintage dans l’âme

Dans un avenir lointain — peut-être pas si lointain —, la petite vie confortable d’Alice, et de ses six convives, vire au cauchemar. La défaillance du système automatisé sur lequel tout repose, de l’air climatisé à l’ouverture des portes, n’est pas la conséquence d’un pépin technique. La cause est profonde : les androïdes se révoltent et menacent la vie humaine.
Ce film dont le titre évoque une panne majeure est un autre bon coup de Netflix, qui assoit son rôle de premier plan en tant que producteur et diffuseur. Tourné pendant la pandémie, mais imaginé avant son éclosion, BigBug n’en illustre pas moins le cataclysme annoncé du cinéma en salle. Son apparition sur la populaire plateforme résulte en tout cas de la non-entente entre une industrie, disons plus classique, et un de ses plus beaux fleurons, l’indépendant et audacieux Jean-Pierre Jeunet (Le fabuleux destin d’Amélie Poulain).
Pour son retour à la réalisation près de dix ans après L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet, Jeunet signe une dystopie certes sombre, mais sur fond de comédie. L’ancien comparse de Marc Caro, avec qui il s’est révélé au tournant des années 1990, n’a pas perdu son goût pour l’extravagance et le délire. Les murs ont des couleurs pastel, le mobilier se déplie et se déploie sous plus d’une forme, les bibliothèques abondent… de livres, une hérésie suspecte dans un monde immatériel.
Film choral à six personnages et même davantage, car il faut comptabiliser les robots, BigBug ne manque ni de détails ni de pistes. On y trouve le bon Jeunet, celui qui est atteint de cette douce maladie à préciser le futile — le récit se déroule le 25 avril 2045 —, et à valoriser la brocante, tel ce robot nommé Einstein (voix d’André Dussollier). On y trouve aussi le moins bon, un Jeunet qui reste en surface, mêle les fils et finit même par s’interrompre.
BigBug a trouvé son salut au petit écran. Fallait-il pour autant mimer sa cadence ? Les nombreux fondus au noir qui fragmentent le film en épisodes font ressortir un vide narratif. La tension dramatique s’estompe plus d’une fois.
Quand même, ce huis clos dans une demeure high-tech est explosif. Il faut dire que les gens qui s’y retrouvent comme dans une bulle sanitaire — dehors, ils seraient en danger — ont des raisons de ne pas s’entendre. Déjà que l’hôtesse des lieux et l’homme qui cherche à la séduire doivent accepter la présence de l’ex et de sa nouvelle compagne…
Certains personnages sont plus colorés que d’autres, notamment la voisine pas-si-célibataire, tenue avec aplomb par Isabelle Nanty, une fidèle du réalisateur. Ce sont cependant les robots de la maison qui volent le show. Leur complicité à chercher à se rendre plus humains donne les meilleures répliques, notamment dans leur maladresse à faire de l’humour.
Piqué au vif, Jeunet ? Sans doute, tant le bogue découlerait (découlera ?) de notre confiance aveugle envers l’intelligence artificielle. Reste que sa critique est dosée, ponctuée de clins d’œil à l’histoire, comme pour prendre le témoin à un lointain Chaplin. Film futuriste, BigBug a du vintage dans l’âme. La cuisine, la banlieue et toutes ses maisons clonées vues des airs ressemblent à cette Amérique du Nord qui s’est « modernisée » au milieu du XXe siècle. Un vieil ordinateur est remis en marche, comme une bouteille lancée à la mer.
Et Jeunet salue notre capacité à nous émouvoir, en citant le cinéma français, qui pourtant lui a tourné le dos. « Garance, c’est le nom d’une fleur / D’une fleur rouge comme vos lèvres », le célèbre dialogue des Enfants du paradis ne viendra jamais d’un androïde, peste-t-il.