Festival du nouveau cinéma - Catherine Breillat, celle par qui le scandale arrive

Catherine Breillat est une amazone. Elle se bat contre la censure depuis toujours. En France, certains de ses films, cotés X, furent longtemps interdits. Une vraie jeune fille, par exemple, devait sortir quinze ans après son tournage.
La dame est patiente et ne se laisse pas intimider par les inquisitions des ayatollahs. En 1999, elle fut de nouveau celle par qui le scandale arrive, à travers son film Romance qui cassait le moule des genres en sortant la pénétration du X pour l'incorporer à un film d'auteur. Une vedette de la porno, le célébrissime Rocco Siffredi, était de la fête. Incongruité, là aussi.Elle a ouvert des brèches par où d'autres cinéastes se sont engouffrés mais précise qu'aujourd'hui, un nouveau vent de puritanisme s'est levé.
Catherine Breillat a écrit des livres et filmé des images qui ont choqué, et souvent pour les mauvaises raisons. À force de la déjouer ou de tomber sous son couperet, elle a fini par s'amuser beaucoup avec la censure, dans son pays comme ailleurs. En 2001, son film À ma soeur, présenté au Festival de Toronto, après tollé général, avait été interdit en Ontario. Breillat a fini par gagner son procès. Elle en a vu d'autres.
Aujourd'hui, la voici qui accompagne au Festival du nouveau cinéma son dixième film, Anatomie de l'enfer, qu'elle considère comme le plus radical et le plus épuré. Comme la fin d'un cycle, aussi, avec son duo homme-femme en huis clos.
Rocco Siffredi y tient le rôle principal auprès d'Amira Casar. Celui d'un homosexuel, soudain rétribué par une beauté brune pour la regarder, quatre nuits durant, jusqu'à l'exploration de tous les secrets de son corps, et bien au delà. Dans la chambre, la lumière caresse la peau blanche de la femme, auprès d'un partenaire bruni, musclé, déstabilisé.
Anatomie de l'enfer scrute la haine séculaire que les hommes portent aux femmes et par ricochet la haine que celles-ci éprouvent envers elles-mêmes.
«J'ai placé le premier homme devant la première femme, explique la cinéaste, devant cette étrangeté qui le plonge face à un abîme de perplexité et de colère.»
L'univers de Catherine Breillat se nourrit de corps nus et d'étreintes, parce que là réside la grande peur de nos sociétés. «Pourquoi la sexualité terrorise-t-elle à ce point?», demande la cinéaste, en décrivant celle-ci comme quelque chose d'immatériel que les gouvernements et les religions essaient de museler pour conserver leur pouvoir. À ses yeux, le féminisme passe par la libération des carcans et des peurs liés au sexe.
«Les hommes font les lois, dit-elle, et ils rendent la sexualité bestiale afin de se protéger. L'émotion relève de l'humain et il faut passer par la faiblesse pour y atteindre. Or les hommes éprouvent en général plus de difficultés que les femmes à accepter leur faiblesse. Mais c'est cette faiblesse qui conduit à l'émotion, à la pensée et au langage. C'est elle qui nous fait atteindre à l'humanité par delà l'animalité. La femme possède la connaissance et la donne à l'homme, comme le mythe d'Adam et Ève l'a démontré. Pour l'homme, ce transfert passe par la chute du pouvoir et se révèle insupportable.»
La cinéaste n'a pas cherché à créer un couple dans ce film, plutôt à épouser la démarche de l'homme qui poursuit, à travers une relation, sa propre vérité en une quête initiatique.
Rocco Siffredi, star du X et symbole de puissance sexuelle, constitue à ses yeux l'acteur idéal. «Il n'a pas à prouver qu'il est un homme, donc il s'abandonne corps et âme.»
Catherine Breillat a compris que la pornographie n'existait que dans un regard pervers posé sur la sexualité. «Les censeurs sont les vrais pornographes, et à travers l'influence de leur regard obscène, la honte devient le moteur du plaisir et du désir pour beaucoup de monde, explique-t-elle. La manière ignoble de regarder les femmes dans la pornographie constitue un outil totalitarisme d'oppression des femmes, et c'est le joug de ce regard qu'il faut secouer en redonnant sa noblesse à la sexualité. J'ai du mal à comprendre les féministes puritaines, car elles perpétuent ce discours du sexe obscène.»