L’acteur français Gaspard Ulliel est mort à la suite d’un accident de ski

Quelques jours à peine après le décès de Jean-Jacques Beineix, le cinéma français est à nouveau en deuil. Victime d’un accident de ski à Grenoble la veille, le comédien Gaspard Ulliel a succombé à ses blessures le 19 janvier. Il n’avait que 37 ans.

Lauréat des César du meilleur espoir masculin pour Un long dimanche de fiançailles, de Jean-Pierre Jeunet, et du meilleur acteur pour Juste la fin du monde, de Xavier Dolan, il avait récemment terminé le tournage de la nouvelle série Moon Knight, de Marvel et Disney+, attendue au mois de mars. Gaspard Ulliel était également le visage du parfum Bleu, de Chanel.

 

La nouvelle de sa mort tragique a secoué la France. Sur Twitter, le premier ministre Jean Castex a écrit que Gaspard Ulliel et le cinéma français « s’aimaient éperdument ».

Timidité maladive

 

Né en 1984 à Boulogne-Billancourt en région Île-de-France, Gaspard Ulliel est le fils unique d’un couple de professionnels de la mode. Il a 11 ans à peine lorsqu’une agente de distribution le remarque pour un épisode d’Une femme en blanc, minisérie mettant en vedette Sandrine Bonnaire. Pour l’enfant, c’est le choc : il ne pensera plus qu’à être acteur en dépit d’une timidité maladive.

Au cours des années suivantes, il tourne dans plusieurs productions télévisées avant de décrocher deux petits rôles consécutifs au cinéma : dans la superproduction Le pacte des loups, de Christophe Gans, en 2001, et dans la comédie Embrassez qui vous voudrez, de Michel Blanc, en 2002.

Le cinéaste André Téchiné, qui a toujours eu l’œil pour repérer le talent en bourgeon, le révèle l’année d’après face à Emmanuelle Béart dans Les égarés, sur une veuve de guerre qui croise la route d’un étrange jeune homme sur fond d’exode champêtre. Sa performance vaut à Gaspard Ulliel une nomination au César du meilleur espoir masculin.

Une distinction qu’il obtiendra pour son film suivant : Un long dimanche de fiançailles, autre superproduction où il incarne le fiancé disparu d’Audrey Tautou, qui refuse de le croire mort. Sa carrière est lancée.

Le tournant Saint Laurent

 

Il alterne par la suite gros et petits budgets, tournant avec une variété de cinéastes tantôt prestigieux, tantôt débutants. En 2006, il apparaît dans le segment de Gus Van Sant du film à sketchs Paris, je t’aime.

En 2007, il décroche deux premiers rôles-titres très convoités : dans Jacquou le Croquant, ou le destin d’un orphelin vengeur du XIXe siècle, et dans Hannibal Rising (Hannibal Lecter. Les origines du mal), ou les jeunes années du célèbre psychiatre cannibale. Il donne entre autres la réplique, dans le premier, à Marie-Josée Croze et dans le second, à Gong Li.

Sorti en 2008, Un barrage contre le Pacifique, d’après Marguerite Duras, sur une autre veuve essayant celle-là de sauver ses rizières en Indochine, lui vaut de partager l’écran avec Isabelle Huppert.

En 2010, égérie de Chanel et de son parfum Bleu, il est dirigé par Martin Scorsese dans une publicité haut de gamme et devient un habitué des passerelles de défilés de mode. Il rencontre d’ailleurs lors de l’un de ceux-ci sa future conjointe, la mannequin Gaëlle Pietri, avec qui il aura un enfant.

Au cinéma, il doit attendre 2014 et le réalisateur Bertrand Bonello pour obtenir un autre vrai grand rôle (encore lié au milieu de la mode, tiens), à savoir celui du couturier Yves Saint Laurent dans la superbe biographie Saint Laurent, œuvre où les réminiscences du protagoniste génèrent un flot de pensées et d’images à des lieues de la production « autorisée » concurrente Yves Saint Laurent, avec Pierre Ninney, plus classique.

Bien reçu, le film de Bonello est en lice pour dix César, dont celui du meilleur acteur pour Gaspard Ulliel. Profondément marqué par le rôle, ce dernier révèle au magazine Elle :

« C’est l’excitation d’avancer un peu vers l’inconnu ; rien n’est vraiment écrit à l’avance. Après, effectivement, je sais que ce film, c’est une vraie étape au sein de ma carrière, de mon travail personnel, même de ma vie […] Je me sens posé, et centré, alors que voilà, il y a eu plusieurs années dans le passé où il y a eu, peut-être, une dispersion qui était plus présente… »

Un parcours intime

 

Après une absence de deux ans, il revient dans Juste la fin du monde, de Xavier Dolan, ou la réunion familiale tendue entre un dramaturge mourant exilé depuis douze ans et ses proches. Le film remporte le Grand Prix à Cannes, les César de la meilleure réalisation et du meilleur montage pour Dolan, et celui du meilleur acteur pour Ulliel.

En 2018, il retrouve Isabelle Huppert, cette fois devant la caméra de Benoît Jacquot, pour le film Eva, basé sur le roman noir de James Hadley Chase. Il y campe un auteur sans scrupule qui tombe sur plus forte partie que lui en la personne d’une séduisante manipulatrice.

En retrait des choses

 

On signalera en outre Les confins du monde, sorti en 2018, sur un soldat français survivant d’un massacre en Indochine qui voit ses certitudes colonialistes ébranlées.

Le film est réalisé par Guillaume Nicloux, avec qui Gaspard Ulliel renoue dès 2019 pour la télésérie de science-fiction Il était une seconde fois. Il y joue un amoureux éploré qui a la chance — ou le malheur ? — de pouvoir revenir en arrière auprès de celle qu’il a perdue.

La même année, il confie à la publication Grazia : « On m’a souvent dit que je pouvais avoir une forme de mystère, d’opacité, quelque chose que je dégage mais que je ne cultive pas du tout. C’est peut-être dû à ma façon d’être en retrait des choses […] Il m’est arrivé de me remettre en question, de réfléchir aux directions que j’ai empruntées, d’essayer de trouver un sens à tout ça. J’ai réalisé en mettant les rôles les uns à côté des autres qu’ils racontaient plein de choses sur mon parcours intime, mon évolution en tant qu’homme. Comme j’ai commencé à 11 ans, j’ai grandi avec tous mes personnages. »

Que dire, sinon que ce « parcours intime » aura été stoppé bien trop tôt. 

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