Pudique et généreux Jean-Marc Vallée
Sa mort souffle une onde de choc. La disparition de Jean-Marc Vallée, emporté à 58 ans le soir de Noël par un arrêt cardiaque dans son chalet de Berthier-sur-Mer, nous tombe dessus en cette fin d’année noire. « J’ai toujours détesté Noël », lançait la voix du héros dans C.R.A.Z.Y., qui se déroulait ce jour-là. Cri du cœur ou prémonition. On ne sait plus trop.
Ce puissant directeur d’acteurs chouchous d’Hollywood laisse pourtant à ceux qui l’ont connu le souvenir de sa simplicité profonde. Et tandis que les hommages pleuvaient aux États-Unis comme ailleurs sur le cinéaste de C.R.A.Z.Y. et de Dallas Buyers Club, on songeait à quel point le réalisateur fut un chic type, respectueux, refusant le jeu de l’ego si pratiqué aux États-Unis. « Le succès, je prends ça avec un grain de sel », me disait-il, conscient que la roue peut tourner en emportant des rêves et des attentes.
Ce grand amateur de musique, aux trames sonores si ciselées, n’a jamais pu réaliser son long métrage sur Janis Joplin, tombé au combat sur des questions de droit d’auteur. Il en avait conservé longtemps une vraie douleur. Le cinéaste possédait un côté secret, pudique, mais généreux. Il s’investissait corps et âme dans ses projets en gagnant le cœur de ses équipes, dont ses interprètes qui le pleurent aujourd’hui avec une sincérité non feinte.
Un peu comme Denis Villeneuve, Jean-Marc Vallée a inspiré bien des réalisateurs québécois qui sentaient à portée de vue le rêve planétaire, quand le talent et la volonté s’y collent. À ses yeux, la langue de travail et les racines profondes d’un créateur demeuraient deux éléments distincts. « Prenez Iñárritu et Guillermo del Toro, me déclarait-il en 2015, ils tournent désormais en anglais, mais leur cœur et leur imaginaire sont mexicains. Au Québec, on commence à faire la même chose, avec une envie de raconter en anglais, mais à notre façon, des histoires du monde. » Son directeur photo, Yves Bélanger, l’avait accompagné à travers son parcours cinématographique américain.
Dans son puissant et bouleversant Dallas Buyers Club (2013), l’aventure véridique et romancée d’un cow-boy texan homophobe et imbuvable, joué par Matthew McConaughey aux côtés de Jared Leto en travesti au grand cœur, se jouait sur fond de drame du sida au début des années 1980. Pour cette œuvre réalisée avec un maigre budget de 4,9 millions, alors que les grosses productions américaines roulaient autour des trois chiffres, la consécration ne tenait qu’à l’immense qualité du film indépendant, à sa charge émotive et à la force des interprétations. McConaughey et Leto ont vu leurs rôles couronnés aux Oscar. Ainsi, le cinéaste se voyait adoubé au Sud, bientôt recherché par toute l’industrie. Et le Québec festoyait de concert.
Jean-Marc Vallée aimait mettre en scène des parcours d’épreuves, de résilience et de revers du sort pour leur offrir des dénouements de lumière. Il a aussi permis à de grands interprètes américains lassés de jouer les jolis cœurs (McConaughey bien sûr, mais également Reese Witherspoon avec son Wild (2014), équipée sauvage d’une femme revenue de l’enfer tirée du récit de l’Américaine Cheryl Strayed) d’émerger de leurs emplois consacrés.
Son premier long métrage, le thriller Liste noire en 1995, avait été un succès commercial, mais tout avait vraiment commencé pour Jean-Marc Vallée dix ans plus tard avec C.R.A.Z.Y., grand succès maison et international. Michel Côté y jouait un père refusant l’homosexualité de son fils (Marc-André Grondin) qui entonnait des chansons d’Aznavour avec une fougue d’enfer, tandis que fiston écoutait du David Bowie. Ce merveilleux film d’humanité situé au cours des années 1970 avec des personnages imparfaits dans une famille québécoise moyenne allait se couvrir d’honneurs : 14 prix Jutra (un record inégalé), onze prix Génie, meilleur film canadien au Festival de Toronto, sans compter les autres. Et un franc succès en France et ailleurs. Ce qui lui permit de tourner Café de Flore en 2011 avec Vanessa Paradis et Kevin Parent, sur destins croisés entre Paris et Montréal et riche trame musicale, bien entendu.
Ce Montréalais n’aura jamais vraiment quitté son berceau, où il revenait poser ses pénates entre les tournages étrangers. Lui qui mit en scène de grandes séries, dont les sept premiers épisodes de l’excellent Big Little Lies, nourri de personnages féminins complexes (dont celui de Nicole Kidman), était conscient de la force de ces productions qui gagnaient en popularité. Il refusait de regarder de haut les séries en VOD et contribua à leur donner ses lettres de noblesse. Son Sharp Objects, thriller psychologique en minisérie diffusé sur HBO aussi, avec Amy Adams, fut très remarqué.
Étrange destin que celui de l’ancien étudiant en cinéma à l’Université de Montréal, qui allait se déployer dans des univers si divers. Comment l’antimonarchiste aurait-il cru pouvoir diriger un jour à Londres le très British film The Young Victoria (sorti en 2009), sur la jeunesse de cette reine-là ? Et ce, d’après une idée de la duchesse d’York, Sarah Ferguson, qui lui donna accès à la bibliothèque privée du château de Windsor ? Jean-Marc Vallée était alors devenu si ferré sur l’étiquette de la cour britannique qu’il en expliquait les nuances aux acteurs de son plateau…
Oui, la vie fut pour lui pleine de surprises et d’explorations. Des projets, il en caressait encore plusieurs. Ce film québécois sur lequel il se promettait de travailler ne vivra plus que dans son rêve évanoui. Le créateur qu’on appréciait aussi pour sa faculté à trouver des côtés positifs aux épreuves de la vie ne sera plus là pour inspirer confiance aux gens. Et son départ afflige. Toutes ces promesses fauchées devant lui… Oui, on se propose de revoir bien vite C.R.A.Z.Y.