«Don't Look Up»: faire rire pour secouer l’humanité

Jennifer Lawrence et Leonardo DiCaprio dans «Don't Look Up»
Photo: Niko Tavernise Netflix Jennifer Lawrence et Leonardo DiCaprio dans «Don't Look Up»

D’ici à peine six mois, une comète entrera en collision avec la Terre. Le choc sera comparable à celui qui a précédé l’extinction des dinosaures. C’est dire que les jours de l’humanité sont comptés, à moins d’une action rapide de la part des gouvernements. Or, tant le pouvoir politique qu’une part appréciable de la population semblent décidés à ne pas prendre la menace au sérieux malgré les preuves scientifiques. De ce scénario catastrophe, le réalisateur Adam McKay a tiré une satire féroce mettant en vedette Jennifer Lawrence, Leonardo DiCaprio, Jonah Hill et Meryl Streep et intitulée Don’t Look Up (Don’t Look Up. Déni cosmique).

Le film est en réalité une brillante allégorie, comme le relève d’entrée de jeu Leonardo DiCaprio lors d’une conférence virtuelle organisée par Netflix. « Adam a créé un film qui, au fond, parle de la crise climatique. Mais il y a insufflé un sentiment d’urgenceen axant son propos sur une comète qui va détruire la Terre. » Pour écrire le film avec lui, Adam McKay a fait appel au journaliste et conseiller politique David Sirota, qui a notamment travaillé auprès de Bernie Sanders en 2020.

« Nous discutions de quelle façon nous pourrions nous y prendre pour traiter de ce sujet écrasant qu’est la crise climatique, la plus grande menace qui soit pour l’espèce humaine, confie McKay. Le rire procure une certaine distance. On peut ressentir l’urgence, la tristesse ou la perte tout en ayant le sens de l’humour. C’était un peu l’idée derrière ce film. Les cinq ou dix dernières années ont été si éprouvantes à l’échelle planétaire… Nous nous sommes dit : ne serait-ce pas chouette de pouvoir rire de certaines de ces choses terribles ? L’approche fin du monde par rapport au climat est tout à fait légitime, on s’entend, mais l’humour a un pouvoir unificateur incroyable. »

Ode à la science

Impliqué de longue date dans la lutte contre les changements climatiques, Leonardo DiCaprio dit avoir d’emblée apprécié l’approche satirico-allégorique.

« Ça faisait des décennies que je cherchais un film qui aborderait ces questions. Adam a vraiment réussi à briser le code avec ce récit en trouvant les bonnes comparaisons entre la menace climatique et celle de la comète. J’étais reconnaissant de jouer un personnage basé sur tellement de personnes de la communauté scientifique que j’ai rencontrées au fil du temps, en particulier des spécialistes du climat. Des gens qui essaient de communiquer l’urgence de cet enjeu, mais qui se voient relégués à la dernière page du journal. »

L’acteur estime à cet égard que la communauté scientifique est malmenée, et que le film fait œuvre utile. Jennifer Lawrence renchérit : « C’est tellement triste et frustrant de voir des gens qui ont consacré leur vie à apprendre la vérité se faire repousser parce qu’on n’aime pas ce que la vérité a à dire. »

Dans le film, la vérité n’a probablement pas de pire ennemie que la présidente des États-Unis, alias Meryl Streep. L’actrice ne nomme pas d’influences explicites, mais on se croirait en présence d’une fusion entre Donald Trump et Sarah Palin. Le résultat fait autant rire que frémir. « Il y avait tellement de sources possibles, car il y a tellement de personnes absurdes qui occupent des fonctions publiques, sans vergogne… C’était amusant de composer ce personnage qui ne veut qu’amasser du pouvoir et de l’argent, et encore davantage de pouvoir et d’argent. C’est tout ce que son appétit lui commande. Ça, et avoir de jolis ongles et cheveux. Les sacrifices que demande la vie politique sont tels que ce ne sont presque plus que ces gens-là qui y vont. C’est un miracle qu’on ait encore parfois de bonnes personnes qui se présentent. On en a besoin maintenant, plus que jamais. »

Le personnage de Meryl Streep est en l’occurrence au cœur de la scène qui a le plus glacé Tyler Perry, qui interprète un animateur superficiel.

« Il y a ce passage dans le Bureau ovale, où le personnage de Meryl est là avec Jonah [Hill, qui joue son fils et conseiller en chef], et elle rejette les faits scientifiques du revers de la main, juste comme ça… On tournait en pleine pandémie, des personnes mourraient… Et il y a des gens comme ça qui opposent leurs contrevérités… Cette séquence est effrayante. »

À l’inverse, pour Jonah Hill, la scène la plus horrifiante est celle où, durant l’enregistrement de l’émission du matin que pilotent Perry et Cate Blanchett, le niveau d’intérêt pour la découverte de la comète destructrice est égal, voire inférieur, à la situation matrimoniale d’une chanteuse pop.

« Adam maintient un équilibre impossible dans ce film, qui consiste à réunir des éléments terrifiants et à utiliser la comédie de manière à les rendre digestes, acceptables ou même divertissants. Tout le film est terrifiant et hilarant », note Jonah Hill.

Au final, sans doute les paroles les plus sages de la conférence ont-elles été prononcées par la modératrice et conseillère scientifique du film, l’astronome Amy Mainzer : « La science nous donne les faits, mais l’art est ce qui nous permet de traiter les émotions et les sentiments associés à ces faits. »

Ce qu’accomplit brillamment Don’t Look Up.

Le rire à échelle cosmique

Satiriste doué, comme l’a prouvé The Big Short (Le casse du siècle), Adam McKay est de retour avec l’épatant Don’t Look Up (Don’t Look Up. Déni cosmique). L’intrigue conte comment, après avoir découvert qu’une nouvelle comète se dirige droit sur la Terre, une doctorante (Jennifer Lawrence), flanquée de son mentor (Leonardo DiCaprio), tente en vain d’alerter Washington de la destruction imminente de la Terre. Tandis que la première, qui refuse de jouer le jeu médiatico-politique, est écartée, le second, qui se laisse séduire par les feux de la rampe, est promu. Tout y passe : la politicaillerie qui prend le pas sur la politique, l’effacement des femmes par l’Histoire, la « bonhommisation » de l’information, le rejet de la science par une frange importante de la population (ce rassemblement de manifestants scandant « Ne regardez pas en l’air ! » dès lors que la comète dont ils nient l’existence devient visible dans le ciel)… Oui, même s’il est ouvertement une allégorie de la crise climatique, le film fait souvent songer à l’actuelle pandémie. Devant ce spectacle fou furieux, on hurle de rire et on reste coi d’effroi, en alternance. Car sous ses dehors comiques, Don’t Look Up dresse un bilan humain souvent désolant. D’ailleurs, après un deuxième acte parfois redondant, McKay n’a manifestement plus envie de rigoler au troisième : le ton se fait plus sérieux, voire émouvant. La distribution cinq étoiles s’avère en complète adéquation avec la nature tantôt réaliste, tantôt outrée de la proposition. En jeune scientifique rebelle, Jennifer Lawrence domine avec son jeu à la fois précis et naturel. En professeur sincère mais corruptible, Leonardo DiCaprio est excellent également, surtout lors de sa crise en direct, un hommage à Network. Sans oublier la première dame du cinéma américain, Meryl Streep, qui s’amuse ferme en présidente infâme. Les Cate Blanchett, Jonah Hill, Rob Morgan, Timothée Chalamet et autres Ariana Grande (si, si) ne sont pas en reste.

François Lévesque

Don’t Look Up

★★★★

Comédie satirique d’Adam McKay. Avec Jen-nifer Lawrence, Leonardo DiCaprio, Rob Morgan, Meryl Streep, Jonah Hill, Melanie Linskey, Cate Blanchett, Tyler Perry. États-Unis, 2021, 145 min. En salle le 10 déc. et sur Netflix le 24.



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