«Aline»: un improbable mais irrésistible pari

Il était une fois une enfant à la voix d’or née dans une petite ville du Québec. Grâce au soutien de sa famille nombreuse et de sa mère en particulier, elle fut prise en charge par un gérant croyant en son talent et en sa capacité à devenir une immense star. De cette relation professionnelle naquit un grand amour qui fit beaucoup jaser. On aura reconnu là la vie de Céline Dion, mais ce n’est pas tout à fait ça. C’est plutôt l’histoire d’Aline Dieu, l’héroïne du film Aline, librement inspirée du parcours de Céline. Conte de fées moderne, ode à la famille et surtout hommage à la chanteuse, cet exercice biographique imaginé par l’actrice, humoriste et réalisatrice Valérie Lemercier est aussi improbable qu’irrésistible.
Improbable, parce que Valérie Lemercier est française et que Céline n’est pas simplement québécoise, elle est « quintessentiellement » québécoise. Après s’être moqués d’elle, plusieurs ici s’enorgueillissent désormais de son succès planétaire. Elle est objet de fierté nationale.
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«Aline» reste une fiction, plaide Valérie LemercierEn France, où l’accueil du film fut dithyrambique, l’amour du public pour la chanteuse, si fervent soit-il, ne s’accompagne pas de ce genre d’attaches. S’il est un frein potentiel au succès d’Aline au Québec, c’est cet amour teinté de chauvinisme. On ne veut pas se faire raconter la vie de Céline, on veut se faire raconter la vie de notre Céline.
Or, comme on le laissait d’emblée entendre, ce n’est pas ce que prétend offrir Aline. En effet, le film de Valérie Lemercier n’est pas, mais pas du tout, une biographie traditionnelle (pour ça, il y a le téléfilm Céline, de 2008 : avis aux internautes d’ores et déjà « crinqués »). La licence artistique que s’accorde la cinéaste ne se résume pas à un changement de prénom. Le résultat, c’est l’une des maintes qualités du film, n’en est que plus singulier.
Un film-somme
Entre autres exemples de l’approche atypique retenue : Valérie Lemercier incarne Aline de l’âge de cinq ans jusqu’à la cinquantaine. Oui, lorsqu’on découvre Aline, enfant, observant avec timidité mais envie ses treize frères et sœurs sur scène, c’est le visage de l’actrice-réalisatrice qui surmonte le petit corps.
Évidente d’entrée de jeu, la nature décalée du traitement, renforcée par l’accent intermédiaire de la vedette, qui refuse la caricature jouale, se confirme lors du passage à l’adolescence. Valérie Lemercier y va alors d’un mélange de gaucherie et d’innocence absolument craquant. D’ailleurs, elle ne se moque jamais d’Aline-Céline, au contraire.
Son film est la célébration d’une idole, bête de scène comme elle, mais dans un autre secteur : outre ses rôles au théâtre et au cinéma (Les visiteurs, Fauteuils d’orchestre, Le petit Nicolas), Valérie Lemercier mène depuis 1989 une brillante carrière de stand-up couronnée de trois prix Molière.
Comme elle le confiait en ces pages, elle adore jouer les petites filles et les adolescentes dans ses spectacles. D’où ce plaisir contagieux, cette pulsion ludique, qui émane d’Aline. À l’évidence, Valérie Lemercier a mis énormément d’elle-même dans cette sixième réalisation. À tel point qu’il est permis d’y voir un film-somme, tant Aline englobe et affine tout ce qui est venu avant, à commencer par un refus constant des normes narratives établies.
Dans Quadrille, d’après la pièce de Sacha Guitry, Lemercier amplifiait la théâtralité de l’œuvre plutôt que de l’atténuer, conférant une artificialité assumée au film. Il y a de ça dans Aline, notamment dans les répétitions de plans fixes repris à l’identique d’une époque à l’autre (le salon de la famille Dieu, par exemple). Dans Le derrière, la cinéaste montrait le goût de la transformation qui l’anime. Elle y jouait une femme qui, croyant faciliter les retrouvailles avec son père biologique homosexuel, se fait passer pour un jeune homme.
Avec Palais royal !, on était déjà dans l’exploration, plus diffuse, du destin hors du commun d’une personnalité féminine réelle, soit Lady Di. Enfin, 100 % cachemire, un récit d’adoption rocambolesque, et Marie-Francine, où une quinquagénaire chômeuse est forcée de réintégrer le giron parental, s’intéressaient tous deux à la famille.
C’est en l’occurrence là l’un des principaux thèmes d’Aline, qui observe avec attendrissement la dynamique à l’œuvre au sein du clan Dieu-Dion dominé par la mère, Sylvette (Danielle Fichaud, mémorable).
Sincérité absolue
Certes, le montage semble parfois abrupt, certaines ellipses mal négociées arrachant au flot narratif au lieu de l’y plonger. Un ou deux gags tombent à plat, comme la prononciation du mot « Vatican » (peut-être plus drôle en France). Plus rigolo, le deuxième acte n’essaie pas d’esquiver l’inconfort suscité, initialement, par l’histoire d’amour entre la chanteuse prodige et son gérant plus âgé (Sylvain Marcel, fabuleux). Là comme dans le reste de son film, Valérie Lemercier privilégie une sincérité si absolue qu’elle désarme complètement.
Plus grave, le troisième acte émeut : on songe à cette longue séquence où Aline, endeuillée et lasse, erre à l’aube dans Las Vegas au son de la chanson Going to a Town, de Rufus Wainwright. Frissons. Le rire et l’émotion cohabitent ainsi tout du long. À des moments relevant presque de la farce succèdent des passages poignants, et vice versa. Ça ne devrait pas fonctionner et, pourtant, si, ça fonctionne. Autant peut être dit du film, au fond, Aline s’annonçant sur papier aberrant, mais se révélant à l’image fascinant.