«The French Dispatch»: le bonbon acidulé de Wes Anderson

De gauche à droite, les acteurs Bill Murray, Wally Wolodarsky et Jeffrey Wright
Photos Searchlight Pictures De gauche à droite, les acteurs Bill Murray, Wally Wolodarsky et Jeffrey Wright

Wes Anderson est de ces cinéastes dont on attend chaque nouveau film avec un mélange d’impatience et de délectation anticipée. Avec ses compositions fignolées, son artificialité assumée, son florilège de vedettes et son humour acidulé, le cinéma d’Anderson est l’équivalent d’une délicieuse friandise artisanale. Après une sélection cannoise en 2020 reportée en 2021, The French Dispatch (The French Dispatch du Liberty, Kansas Evening Sun) prend enfin l’affiche.

Le titre fait allusion au supplément « international » d’un journal américain fictif ressemblant beaucoup au New Yorker. Ledit supplément a pignon sur rue dans la ville imaginaire d’Ennui-sur-Blasé, en France. Le film s’ouvre au moment où son rédacteur en chef (Bill Murray) vient de mourir.

L’heure des réminiscences ayant sonné, trois journalistes troqueront à tour de rôle leur machine à écrire pour la narration.

Le premier récit, rapporté par la critique d’art J.K.L. Berensen (Tilda Swinton), concerne un artiste (Benicio Del Toro) qui, sans le vouloir, inventa le modernisme avec l’aide de sa muse (Léa Seydoux). Un détail : il est prisonnier et elle est gardienne de prison. Si les poses improbables de la modèle-geôlière frappent l’imaginaire,les passages du noir et blanc à la couleur épatent tout autant.

En filigrane, Anderson, qui œuvre dans le giron d’un grand studio, explore le rapport compliqué qu’entretiennent artistes et marchands d’art.

Le cinéaste se gâte

 

Le second compte rendu, sur un air de Mai 68, est relaté par Lucinda Krementz (Frances McDormand). On y revisite un mouvement de protestation étudiant ayant pour figure de proue Zeffirelli (Timothée Chalamet), avec qui la journaliste-narratrice eut une brève liaison, juste assez longtemps pour réécrire le manifeste du groupe. La notion d’objectivité journalistique en prend pour son rhume.

Explicitement, Anderson renoue avec le thème du conflit parent-enfant présent dans la majorité de ses films, dont le superbe Moonrise Kingdom. Sur le plan visuel, le cinéaste se gâte, convoquant Welles, Demy et Truffaut.

 

Ici comme dans le reste du film, la prédilection d’Anderson pour les images en aplat et les constructions symétriques est bien en évidence. Et il est de brillantes mises en abyme, comme lorsqu’un souvenir dans le souvenir devient pièce de théâtre, pièce rendue soudain cinématographique par l’entremise de travelings.

Vient le troisième mini-opus, conté celui-là par Roebuck Wright (Jeffrey Wright), à propos du chef cuisinier (Steve Park) du commissaire de police d’Ennui-sur-Blasé (Mathieu Amalric). À nouveau, le noir et blanc confère un charme suranné à l’action, et à nouveau, des flashs de couleur soigneusement calibrés (ce gros plan des yeux bleus de Saoirse Ronan !) éblouissent.

Ce coup-ci, Anderson lève son chapeau à Clouzot en faisant ressembler Mathieu Amalric à Louis Jouvet dans Quai des Orfèvres (de la moustache au fils métis).

D’ailleurs, cette France à laquelle le cinéaste américain rend hommage n’est pas tant la vraie que celle fantasmée au cinéma. De la même manière, sa lettre d’amour à la presse écrite est tributaire d’une vision du métier établie dans des classiques de l’Âge d’or hollywoodien comme Woman of the Year et His Girl Friday (La dame du vendredi).

Dès lors, peut-être The French Dispatch est-il d’abord et avant tout une célébration du cinéma. D’où le surcroît de plaisir qu’on prend à le savourer, ce bonbon-là.

The French Dispatch du Liberty, Kansas Evening Sun (V.O., s.-t.f. de The French Dispatch)

★★★★

Comédie fantaisiste de Wes Anderson. Avec Bill Murray, Tilda Swinton, Benicio Del Toro, Léa Seydoux, Frances McDormand, Timothée Chalamet, Jeffrey Wright, Mathieu Amalric, Steve Park. États-Unis, 2020, 103 minutes. En salle.

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