Gena sur John
Une rétrospective des films du grand cinéaste américain John Cassavetes roule depuis une semaine au Cinéma du Parc. On peut en profiter jusqu'au 28 mars. Le réalisateur-comédien disparu en 1989 n'en finit plus de donner une leçon de cinéma aux amoureux du septième art. Ses oeuvres phares, comme Shadows, A Woman Under the Influence, Opening Night et Gloria, brillent au firmament des grands films libres.
Qui davantage que son épouse, muse et interprète, Gena Rowlands, peut aujourd'hui témoigner d'une époque, d'une passion, de la collaboration de chaque instant que fut leur aventure humaine et artistique? Cassavetes avait offert à sa femme d'immenses rôles féminins, passés aujourd'hui à l'histoire. A Woman Under the Influence, Opening Night et Gloria reposaient sur les épaules de cette merveilleuse actrice.Jointe au téléphone, la blonde grande dame affirmait hier qu'après le décès de son mari, elle n'avait même pas songé à rencontrer un cinéaste capable de la mettre en scène d'aussi glorieuse façon. Et même si Jim Jarmush, Woody Allen et d'autres lui ont par la suite offert des rôles intéressants, elle savait que les grands défis de sa carrière restaient derrière.
Gena Rowlands est réputée pour avoir non pas interprété des rôles, mais plutôt choisi de plonger littéralement en eux, en devenant le personnage. Or dans A Woman Under the Influence, elle incarnait une femme psychiquement très instable et sa performance mettait son émotivité à l'épreuve. "Pour moi, jouer, c'est comme être dans un avion, enlever mes souliers et les jeter par la fenêtre, explique-t-elle. Il peut être dangereux de laisser aller ainsi ses défenses. Personnellement, je suis toujours retombée sur mes pieds."
Gena Rowlands évoque le plaisir infini qu'elle eut à travailler aux côtés de Cassavetes. "Jamais nous n'avons pensé que John deviendrait célèbre, mais tous ses collaborateurs étaient conscients de l'étendue de son talent. Nous étions un groupe très uni avec Ben Gazzara, Peter Falk, toute la vieille équipe. À l'époque, notre vie était financièrement difficile, mais très excitante. Je ne peux vous dire à quel point nous étions heureux d'aller travailler. Le plus grand écueil de notre vie se trouvait dans la quête de distributeurs. Après avoir terminé A Woman Under the Influence, on était fiers de notre film, mais aucun distributeur ne désirait l'acheter. C'était le désert. John avait même commencé à téléphoner à des exploitants de cinéma pour qu'ils l'acceptent sur leurs écrans. Plusieurs lui riaient au nez. Le film a été sauvé in extremis par le Festival de New York, où il a reçu une ovation inespérée. Ce fut la plus belle soirée de ma vie. À la suite de cet accueil, un distributeur a pris le film. Mais je ne dirai jamais assez à quel point la France, l'Europe en fait, nous a aidés. Là-bas, le cinéma de John Cassavetes était accueilli avec amour et passion, bien davantage qu'en Amérique. Les distributeurs savaient qu'ils auraient une diffusion internationale avec nos films. Ça nous a aidés à continuer."
"Je ne crois pas qu'il serait possible aujourd'hui, pour des cinéastes indépendants, de travailler de la même façon que nous, estime Gena Rowlands. On a eu de la chance, mais aussi la possibilité d'arrêter certains tournages pour chercher de l'argent - John avait des contrats comme acteur, après tout -, puis de reprendre le travail là où on l'avait laissé. Ce mode de fonctionnement paraît presque impossible dans notre industrie actuelle, régie par des règles rigides. Mais les caméras numériques viennent apporter une nouvelle souplesse au cinéma indépendant et des talents libres pourront naître dans ce contexte-là."