«Il était une fois dans l’Est»: bons baisers de Russie

Dans la peau d’Anna, Kristina Schneider est excellente. Et différente, loin des mannequins aux corps standardisés. Ses rondeurs ne sont pas pour autant prétexte à influencer la trame narrative.
Photo: K-Films Amérique Dans la peau d’Anna, Kristina Schneider est excellente. Et différente, loin des mannequins aux corps standardisés. Ses rondeurs ne sont pas pour autant prétexte à influencer la trame narrative.

Voisins au village, amants sur la route. Hiver comme été, le manège, ou la relation extraconjugale, tient le coup : Anna et Egor se donnent rendez-vous sur la voie de campagne et entretiennent leur idylle secrète le temps d’un aller-retour à Moscou. Lui camionneur, elle couturière, les deux ont leurs raisons de quitter le domicile familial.

Le synopsis d’Il était une fois dans l’Est, septième long métrage de fiction de Larissa Sadilova, tient du conte tant le succès de la romance semble invraisemblable. Bien sûr, ça finira par se savoir et les deux protagonistes, ainsi que leurs conjoints officiels, devront affronter la réalité, faire des choix, surmonter l’épreuve. Si le récit n’a rien de hollywoodien, c’est qu’il est enraciné dans la Russie profonde. Et qu’il porte une signature.

Également scénariste, Larissa Sadilova a eu le doigté pour raconter cette histoire sans en exagérer les traits, sans en donner tous les détails, la rythmant d’ellipses et de changements de saison. Les dialogues sont rares et de nombreuses scènes se succèdent avant qu’on entende un premier mot. À l’occasion, l’action se déroule derrière une vitre, les propos sont inaudibles. Les ébats amoureux, tout comme les déshabillés, brillent par ailleurs par leur absence. Malgré une intrigue peu nouvelle, le film ne flirte pas avec le déjà-vu.

Dans la peau d’Anna, Kristina Schneider est excellente. Et différente, loin des mannequins aux corps standardisés. Ses rondeurs ne sont pas pour autant prétexte à influencer la trame narrative. À peine se déhanche-t-elle le temps d’une danse, lors d’une séance de séduction naturelle et respectueuse. Reste que le ton est subtilement féministe. Ce sont par ailleurs les deux personnages féminins, Anna et Tamara, la cocue dans cette histoire, qui font évoluer le récit.

Simple, délicate, l’approche de la cinéaste penche vers un réalisme sans fioritures. Non, Il était une fois dans l’Est n’est pas un conte, mais un portrait d’une Russie contemporaine, à cheval sur les traditions (la vie en région) et la modernité moscovite. Cette dernière demeure davantage suggérée que montrée, incarnée seulement par les escapades des amants.

Situé dans une localité de 14 000 âmes, le film prend des airs de documentaire, notamment par des images tournées dans des décors naturels et lors des fêtes commémorant la fin de l’occupation allemande. Excepté pour les rôles principaux, Larissa Sadilova s’appuie sur des acteurs non professionnels, telle la loquace dame âgée qui livre un précieux témoignage d’une autre époque. Il faut vivre heureux, laisser parler le mari, se taire et boire un verre d’eau, conseille-t-elle à Anna.

L’Est, ici, se définit par la vie ordinaire, des superbes paysages et… rien d’autre. Même dans le cas où deux voisins se font les beaux yeux, il faut fuir la région pour passer aux actes. Le récit de Sadilova est de cette nature. Une autre production aurait misé sur la montée d’adrénaline, sur les cris, sur la rupture. Dans celle-ci, ce sont l’ennui, ou presque, le non-dit et la continuité qui règnent (encore).

Il était une fois dans l’Est

★★★ 1/2

Drame sentimental de Larisa Sadilova. Avec Kristina Schneider, Egor Barinov, Yuri Kiselev, Mariya Semyonova. Russie, 2021, 120 minutes. En salle.



À voir en vidéo