«Aline»: une Céline Dion magnifiée, qui n’égratigne pas le mythe

Dans cette édition cannoise où les cinéastes québécois brillent par leur absence, Aline, de Valérie Lemercier, devenait le morceau maison sur lequel nos troupes se ruaient. Coproduite chez nous par Caramel Films, cette adaptation libre de la vie de Céline Dion n’a pas été autorisée par la diva de Charlemagne, sans toutefois s’être vu rejetée du revers de la main. Après une sortie repoussée d’un an par le confinement, la voici donc projetée hors compétition à Cannes, bien avant sa sortie sur nos écrans prévue le 26 novembre. On l’a vue mardi en soirée.
La Française Valérie Lemercier — humoriste, actrice, scénariste, chanteuse et tout ce qu’on voudra — lance ici son septième long métrage. Elle croyait Cannes hors de portée, mais la Croisette ne l’aura pas snobée, et ce, même si cette production populaire, avec ses défauts et ses qualités, semble destinée à une autre clientèle que celle des cinéphiles. Les admirateurs de Céline vont adorer, mais comme critique, on se sent parfois dans un monde à part quand un film n’est tout simplement pas notre tasse de thé.
L’artiste aux nombreuses casquettes l’avait proclamé à l’envi : réaliser ce film fut une idée née dans le terreau de l’admiration pure. Céline et sa carrière phénoménale sont les muses de Valérie Lemercier. Mais c’est Victoria Sio qui la double aux chansons.
Aline est un hommage sincère. Céline Dion devient ici Aline Dieu, rien de moins. On y voit une vie en partie réinventée, mais au final très proche de la réalité. Les exégètes de Céline Dion sauront discerner quels détails diffèrent. En gros, la cinéaste resserre les chapitres de la vie de la diva et passe sous silence ce qui aurait pu déranger.
Les mimiques, les transformations physiques et la gestuelle sont là ; Lemercier l’imite à merveille. Mais son accent québécois à géométrie variable, parfois présent, parfois absent, pose problème.

D’autant plus que les autres acteurs incarnant des Québécois en sont vraiment, y compris l’interprète de René Angélil (rebaptisé ici Guy-Claude), Sylvain Marcel, d’ailleurs natif de Charlemagne. Mais on verra à peine que ce mari est un joueur compulsif — et jamais qu’il n’était pas toujours un si bon garçon.
Aline survole aussi la genèse de cette chanteuse ambitieuse, mais aussi manipulée par son entourage ; ses répétitions et son travail vocal sont laissés de côté au profit d’une pluie d’anecdotes.
La mise en scène est efficace, sans rien pour l’entraîner hors des zones de la production commerciale honnête mais sans facture originale. On dirait parfois un téléfilm, avec les limites du genre.
Préserver le mythe
Ce ne sont pas tant les performances scéniques de la diva (il y en a quand même plusieurs), femme issue d’un milieu modeste qui monta jusqu’aux nues et séduisit des millions d’admirateurs éperdus en entonnant My Heart Will Go On en plein naufrage du Titanic, qui auront inspiré Valérie Lemercier. C’est surtout à son berceau familial (Danielle Fichaud est d’ailleurs excellente en Maman Dieu), puis sa vie de couple aux côtés de son imprésario que l’on s’intéresse.
Aline aborde d’ailleurs abondamment leur amour, leur partenariat et leur respect réciproque, jusqu’au trépas de l’homme qu’elle n’a jamais cessé d’aimer. Bienveillance est le mot-clé ici. Ne comptez pas sur Valérie Lemercier pour égratigner le mythe avec sa coscénariste Brigitte Buc. D’ailleurs, les mythes sont toujours frelatés et l’union de ce couple improbable, soudée.
N’empêche, le film est gentil, lisse et généreux. Il est destiné à un public conquis d’avance par la diva, qui n’apprendra pas grand-chose de neuf, mais qui retrouvera certainement avec plaisir la trajectoire de celle qu’il aura suivie au long des années.
Tout démarre sur la chanson Ordinaire de Mouffe, chantée par Charlebois, et tout finit par son interprétation sur scène par Aline. L’enfance et les débuts de la diva sont bien décrits ; la gloire, les tournées, Las Vegas et sa scène mythique aussi. Maman Dieu, toujours aux côtés de sa fille, hérite de séquences émotives puissantes, surtout à travers ses refus initiaux de voir sa fille épouser un homme au passé tumultueux et beaucoup plus âgé qu’elle. Mais comme dans la vraie vie, elle finira par l’accepter. Dans les décors kitsch de leurs grosses maisons, dans les coulisses des scènes internationales, comme dans leurs efforts réussis d’avoir des enfants par procréation assistée, Aline et Guy-Claude forment ici un couple sans nuages, si ce n’est ceux causés par la maladie de l’époux.
Valérie Lemercier a voulu montrer les zones de fragilité de la vedette — les jours où elle craque, ses déchirements entre sa carrière et sa vie de mère — sans vraiment démonter les ressorts secrets de la vie hors du commun qu’est la sienne. L’amaigrissement des dernières années, les douleurs de cette femme à la fois simple et indéchiffrable restent d’ailleurs en survol.
Cette fiction très collée au réel deviendra sans doute pour ses fans le biopic de sa vérité. Mais Valérie Lemercier est demeurée volontairement en surface de son sujet : elle a voulu plaire au public et rendre hommage à une artiste qu’elle admire. Mais, pour paraphraser le titre de la chanson de jeunesse de Céline Dion, Aline est trop remplie d’amour ou d’amitié.
Odile Tremblay est à Cannes à l’invitation du Festival.