«Les vieux chums»: le film intime et fragile de Claude Gagnon

En partie inspiré par une expérience de fin de vie aux côtés d’un de ses grands amis désormais disparu, le cinéaste Claude Gagnon livre, avec peu de moyens et un engagement évident, un dixième long métrage fragile sur un sujet difficile et poignant. Cette histoire d’un bourlingueur, Pierrot (Patrick Labbé), longtemps exilé au Maroc, atteint d’un cancer incurable et de retour chez les siens, est ici l’occasion de livrer un film de potes sur une tonalité grave parfois joyeuse.
Par-delà la mort qui rôde, l’heure est aux confidences intimes sur les valeurs de la vie, sur l’amour, sur les chicanes de famille et sur l’amitié surtout en mode bourru. Celle qui lie Jacques (Paul Doucet) à Pierrot est mise à dure épreuve quand il se voit invité à adoucir ses derniers mois. Mais, entre frère, fils, amis et anciennes flammes, le malade en fin de vie qui a accepté son sort, tente d’aider les autres à se rabibocher entre eux pour laisser un legs d’harmonie parfois appuyé.
Les vieux chums est un « film de gars » (les figures féminines sont peu développées) sur un air de nostalgie et d’envie de se projeter dans l’avenir autrement, appelé à séduire davantage une clientèle masculine. Il constitue aussi une lettre d’amour à Saint-Hyacinthe, la ville natale du cinéaste en Montérégie, captée sous toutes ses coutures et photogénique à souhait.
Paul Doucet garde en général la note entre la révolte et l’acceptation, pivots de son rôle, alors que Patrick Labbé ne convainc pas tout à fait en être perché entre deux mondes, qui vacille dans ce rôle exigeant sans toujours s’ancrer. Mais on s’attache à leur tandem. En partie grâce à la présence de Doucet, mais aussi pour les rapports virils mis en lumière, on pense aux 3 p’tits cochons, de Patrick Huard, en une veine plus sombre. L’ombre des Invasions barbares d’Arcand plane sans s’arrêter. Le cinéaste de Kenny et de Karakara peine parfois à marier les genres, mais des plages d’humour devant une ancienne maîtresse hystérique, surtout avec Pierre Curzi, délicieux en père baba cool de Jacques imperméable aux rebuffades filiales, enracinent le côté comique.
Le petit budget n’a pas permis à Claude Gagnon de planter solidement sa mise en scène, et la distribution surtout secondaire apparaît inégale. Son scénario parle d’abondance là où des regards auraient parfois suffi à traduire des états d’âme. Reste que les dialogues soulèvent maintes questions importantes à l’heure où les hommes cherchent à redéfinir leur rôle dans la société. L’émotion se greffe à des parties d’échecs, à des virées au bar de danseuses, à un ultime voyage au Maroc.
Des moments tombent à plat, comme les retrouvailles de Pierrot et du fils qu’il avait négligé. Certaines scènes s’étirent, d’autres se voient coupées abruptement, mais à travers des instants de grâce, des liens maladroits et touchants. Les vieux chums n’est pas un film aussi achevé que Karakara (2012), voyage initiatique à Okinawa avec Gabriel Arcand. Il se révèle toutefois le plus personnel de Claude Gagnon.