Nicolas Boukhrief raconte la disparition d'un enfant

«Trois jours et une vie» capture les prémices et les suites d’un drame. En décembre 1999, alors qu’un enfant de cinq ans disparaît, chacun regarde son voisin de travers. Qui sait quoi?
Photo: AZ Films «Trois jours et une vie» capture les prémices et les suites d’un drame. En décembre 1999, alors qu’un enfant de cinq ans disparaît, chacun regarde son voisin de travers. Qui sait quoi?

Film noir, thriller psychologique, incursion dans une vie de village (Olloy sur les hauteurs des Ardennes belges), Trois jours et une vie, du Français Nicolas Boukhrief, adapté du roman de Pierre Lemaitre (auteur du goncourisé Au revoir là-haut), se décline en plusieurs temps et à travers maints niveaux de sens.

L’écrivain avait d’abord soumis le scénario tiré de sa propre prose au cinéaste. On devait à Boukhrief La confession, d’après le roman Léon Morin, prêtre, de Béatrix Beck (déjà porté à l’écran par Jean-Pierre Melville),Un ciel radieux, adapté du manga de Jiro Taniguchi, tout comme Made in France sur le djihadisme. Or voilà ! Demeurer le scénariste de ses œuvres était important pour lui, mais il a changé son fusil d’épaule.

Transporté par sa lecture, il allait mettre un autre projet sous le boisseau, voyant dans cette histoire l’occasion de réaliser un film noir collé aux faits divers actuels, avec fascination des médias et du public quand la mort d’un enfant est en cause. Une atmosphère trouble et une écriture à la Simenon dans le tissage de l’intrigue l’avaient séduit : « Lemaitre avait offert une merveilleuse adaptation de son roman au scénario, estimait Boukhrief. On trouvait davantage de violence dans le livre à sa source. Il comprenait le langage du cinéma. »

Moi, j’ai trouvé jubilatoire de jouer le secret d’une femme effacée qui avance masquée. Elle est honnête dans son mensonge.

La forêt des alentours nourrie de mystères, magnifiquement captée par la caméra, fouettée par une battue et par la tempête semble abriter le petit Poucet qui cherche son chemin hors de ses profondeurs. Car le film parle avant tout de l’enfance brisée. Puis de l’adulte qu’un garçon traumatisé deviendra.

Trois jours et une vie capture les prémices et les suites d’un drame. En décembre 1999, alors qu’un enfant de cinq ans disparaît, chacun regarde son voisin de travers. Qui sait quoi ? La vérité se dérobe. Au premier plan, un jeune de douze ans (Jérémy Senez), empêtré dans l’affaire après un acte irréfléchi, bientôt sous la protection de sa mère (Sandrine Bonnaire). Le père de l’enfant disparu (Charles Berling) a achevé son chien blessé, déclencheur du drame.

Le secret d’une femme effacée

Rencontrés à Paris, Pierre Lemaitre et Sandrine Bonnaire aimaient parler des zones d’ambiguïté psychologiques soulevées. « Le personnage incarné par Philippe Torreton dit au mien : “Je ne te juge pas. Tu ne me juges pas. Chacun fait comme il peut”, résume l’actrice. Moi, j’ai trouvé jubilatoire de jouer le secret d’une femme effacée qui avance masquée. Elle est honnête dans son mensonge. »

Boukhrief évoque un détail au cou du personnage féminin : « Blanche Courtin porte une petite croix. Elle représente ce catholicisme croyant qui verrouille la province française : on ne fait pas de vagues, on se tient bien et on ne dit pas tout. La bourgeoisie est plus cynique. Cette femme-là garde un secret, mais aurait préféré ne pas avoir à le faire. »

Un climat de peur sourde et le spectre de la culpabilité planent au-dessus des têtes.

 

« La première partie est perçue par les yeux d’un enfant. Il fallait que tout soit un peu excessif, comme la maman très femme à la maison. Mon film est aussi une pleine aventure cinématographique, avec des tempêtes, des plans de neige, des scènes de foule. »

Trois jours et une vie demeure une œuvre sur le silence : « Ce que je trouve pathétique, dit le cinéaste, c’est que si l’enfant avait avoué son geste, il n’aurait pas été en prison. Mais en détruisant des preuves, en cachant le cadavre, il a fait de lui-même un criminel. »

Les Ardennes offraient une caisse de résonance parfaite à l’action. « Car le village est un huis clos, ajoute-t-il. Il n’y a pas de son. C’est l’ennui. »

« Quand on est arrivés pour le tournage, enfin il s’y passait quelque chose, dit en riant Sandrine Bonnaire. J’avais l’impression d’être Mick Jagger mitraillé par les photographes… »

Chose certaine, Boukhrief a apprécié son travail auprès des habitants d’Olloy, qui ont multiplié les figurations. Le village s’est impliqué. Bonnaire goûtait la sensibilité des contacts du cinéaste avec les figurants, refusant de les traiter comme du bétail, chose trop courante dans le métier. « Il disait à chacun : “Vous êtes des acteurs.” Tous se sentaient respectés. »

La réception de Trois jours et une vie en France ? « Pas formidable, admet Boukhrief en soupirant. Si tu n’arrives pas avec Le roi lion… Les Français consomment des films noirs chez eux à la maison, mais se déplacer en salle pour un polar national, c’est hélas ! devenu moins courant… »

Ces entretiens se sont déroulés à Paris en 2020 avant la pandémie. La situation est, on l’aura compris, bien pire depuis.

Trois jours et une vie prendra l’affiche le 28 mai.

 



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