«My Salinger Year»: portrait de l'artiste en jeune femme

Le film bénéficie de performances accomplies de la part d’une distribution bigarrée, à commencer par celle de Margaret Qualley. 
Photo: Métropole Films Le film bénéficie de performances accomplies de la part d’une distribution bigarrée, à commencer par celle de Margaret Qualley. 

Son diplôme de la prestigieuse Université Berkeley en poche, Joanna a quitté la Californie pour s’établir à New York. Son rêve ? Écrire. En cette année 1995, la voici donc qui entre à l’emploi de la plus ancienne agence littéraire de la ville en tant qu’assistante de Margaret, patronne impérieuse et exigeante. Dès son arrivée, Joanna se voit confier une étrange tâche : lire le courrier d’admirateurs adressé à J.D. Salinger, le plus illustre, et le plus reclus, des clients de la boîte. Aux lecteurs, Joanna doit retourner une missive pré-écrite. Or, elle décide un jour qu’une réponse personnalisée s’impose. Avec My Salinger Year (Mon année Salinger), Philippe Falardeau signe une adaptation fine des mémoires de Joanna Rakoff.

Le film bénéficie de performances uniformément accomplies de la part d’une distribution bigarrée, à commencer par celles, splendides, de Margaret Qualley et de Sigourney Weaver.

C’est là un récit d’apprentissage plein d’acuité et d’humour subtil, deux constantes dans la filmographie de Philippe Falardeau. Au service du cinéma et non de la littérature, le cinéaste n’hésite pas à s’affranchir de la source. De nombreuses scènes ont ainsi été ajoutées ou transformées, à l’avantage du film. L’addition la plus importante tient à ces séquences lors desquelles Joanna, à la lecture des lettres de fans du roman culte L’Attrape-coeurs, imagine tous ces jeunes gens qui s’ouvrent de manière très personnelle à leur auteur fétiche.

Afin de souligner la nature intime de ces témoignages (merveilleusement écrits), le cinéaste a demandé aux interprètes de s’adresser à la caméra. Simple, la technique est ici d’une redoutable efficacité dans sa capacité à « interpeller » et à faire ressentir les tourments évoqués. De ces scènes, celles qui frappent le plus l’imaginaire mettent en vedette un Théodore Pellerin vulnérable, puis plein d’aplomb, en alternance, et excellent comme de coutume.

« Excellent comme de coutume » vaut également pour le travail de Philippe Falardeau (et celui de la directrice photo Sara Mishara). À nouveau, le réalisateur de Monsieur Lazharpropose une réalisation extrêmement précise, mais possédant cette qualité rare qui fait en sorte qu’on ne perçoit jamais le labeur. Tout du long, sans effort apparent, sa mise en scène se déploie avec un mélange de grâce et de légèreté des plus agréables.

Partis pris rafraîchissants

 

Ce qu’il y a en outre de bien avec My Salinger Year, c’est que la trame évite les écueils du romantisme facile. En effet, si deux amoureux — le premier laissé « en suspens » en Californie, et le second rencontré à New York — font partie du paysage personnel de Joanna, ce volet ne prend guère le dessus. Même qu’à terme, il apparaît périphérique. Ce parti pris est en soi rafraîchissant. À l’inverse, le volet professionnel occupe une place prépondérante, ce qui donne lieu à des scènes de vie de bureau crédibles, où domine le plus souvent Sigourney Weaver.

Un mot ici sur les similitudes entre My Salinger Year et The Devil Wears Prada (Le Diable s’habille en Prada, 2006). Dans la foulée de son dévoilement en ouverture de la Berlinale (un cadeau empoisonné, puisqu’ayant placé des attentes irréalistes sur les épaules du film), plusieurs ont signalé une parenté trop prononcée jouant en défaveur du premier. Une toute jeune femme en éveil, une patronne malcommode plus âgée : voilà, c’est le même film. Non, pas du tout.

Tant l’intrigue proprement dite que le ton et la manière distinguent le film de Philippe Falardeau. A fortiori, aspect fondamental que l’on signalait dans notre entrevue avec Sigourney Weaver, My Salinger Year ne place pas ses deux personnages féminins en position antagoniste (autre parti pris rafraîchissant).

Au diapason de ce refus d’une simplification « bonne contre méchante », Sigourney Weaver offre une composition tout en nuances. Sa Margaret est intimidante, érudite, touchante, rigoureuse… Technophobe invétérée (la scène de l’ordinateur !), elle est aussi très drôle à son insu. La star aurait pu en faire des tonnes, mais en optant au contraire pour la demi-teinte, Sigourney Weaver fait une fois encore la démonstration de son infaillible instinct. Le film le lui rend bien.

Mon année Salinger (V.F. de My Salinger Year)

★★★★

Drame de Philippe Falardeau. Avec Margaret Qualley, Sigourney Weaver, Douglas Boothe, Colm Feore, Théodore Pellerin, Yanic Truesdale. Canada, Irlande, 2020, 101 minutes. En salle et en VSD.