Un succès inespéré pour «Jusqu’au déclin» sur Netflix

Le premier film québécois financé et diffusé par Netflix, Jusqu’au déclin, de Patrice Laliberté, a non seulement réussi à se hisser parmi les cinq contenus « non anglais dans sa forme originale » les plus visionnés au Canada cette année, mais il a aussi su conquérir le public de plusieurs pays à travers le monde. Un succès qui pourrait donner des ailes au cinéma d’ici, aspirant à rejoindre de nouveaux horizons.
« Jamais de la vie je n’aurais pensé qu’il aurait autant marché au Canada et encore moins à l’international. On fait souvent des œuvres en cherchant à plaire au public d’ici sans savoir si ça va plaire ailleurs. C’est vraiment une belle surprise ! » confie au bout du fil le réalisateur Patrice Laliberté, encore soufflé par la nouvelle.
Certains trouvaient le pari risqué lorsque le géant numérique a décidé d’offrir un budget de 5 millions de dollars à la jeune compagnie québécoise Couronne Nord, qui souhaitait produire son tout premier long métrage. Mais quelques mois plus tard, force est de constater que le pari a été relevé haut la main.
Le thriller, qui a fait son entrée sur Netflix le 27 mars, a été visionné 21 millions de fois rien que dans ses 28 premiers jours sur la plateforme. Si l’on exclut le Canada, le film a particulièrement connu du succès en Colombie, au Brésil, en Pologne, en Espagne et en Roumanie, selon des informations obtenues par la multinationale.
Le contexte de sa sortie, en pleine pandémie, n’est pas sans avoir fait mousser sa popularité à l’international, croit sa productrice, Julie Groleau. « Tout le monde s’est retrouvé cloué à la maison, devant Netflix. Et en plus, le film aborde le thème du survivalisme, qui a connu un regain en début de pandémie », souligne-t-elle.
« D’un autre côté, beaucoup de gens ne l’ont pas écouté parce que c’était trop proche de leur réalité et ils voulaient utiliser le cinéma surtout pour s’évader », nuance Patrice Laliberté.
Tous deux s’entendent toutefois : avec sa présence mondiale et ses millions d’abonnées, le puissant diffuseur en ligne leur a ouvert des portes et permis de rejoindre des publics de différents horizons qu’ils n’auraient jamais atteints autrement. En plus de bénéficier d’un budget généreux — près de trois fois plus que le microfinancement obtenu par les institutions locales — Jusqu’au déclin a été traduit ou sous-titré en 30 langues.
Occasions de rayonner
Aujourd’hui, sans l’aide d’un gros acteur, il reste difficile d’exporter et de faire rayonner des productions québécoises à l’étranger, note le réalisateur. Si les festivals de cinéma restent un bon moyen de faire la promotion d’un film à travers le monde, ils s’adressent bien souvent à un public très niché et peu de films y accèdent.
« Je sais que c’est un sujet qui fait débat et que beaucoup n’ont pas aimé le deal de [l’ancienne ministre du Patrimoine] Mélanie Joly, mais comme créateur, Netflix peut être un bon allié. Il nous permet de rêver, de réaliser des projets avec davantage de moyens et d’exporter notre culture à l’international. L’argent, c’est le nerf de la guerre dans un secteur comme la culture toujours sous-financé », souligne Patrice Laliberté.
« Je pense qu’on a pavé le chemin. Il y a des gens qui étaient réticents à travailler avec Netflix qui vont voir que ça offre d’autres opportunités. Dans un contexte de pandémie, avec des cinémas fermés, on n’a pas d’autre choix que de se questionner sur l’avenir du cinéma et de réaliser que nos œuvres ont beaucoup de visibilité sur de telles plateformes numériques », renchérit Julie Groleau.
Maintenir la pression
Aux yeux de Denis Chouinard, titulaire de la Chaire René Malo en cinéma et en stratégies de production culturelle de l’UQAM, il est en effet impossible d’ignorer l’efficacité et la grande popularité des plateformes de diffusion comme Netflix de nos jours. Il faut toutefois les utiliser à bon escient. Il est ainsi primordial, croit-il, que les gouvernements maintiennent la pression sur le géant américain pour qu’il finance davantage de films québécois.
L’argent, c’est le nerf de la guerre dans un secteur comme la culture toujours sous-financé
« Au niveau de l’économie de production, c’est mieux d’encourager Netflix à financer et à diffuser des films d’ici, plutôt que de le laisser mettre quelques dollars sur la table et racheter pour une bouchée de pain la licence de diffusion des films québécois déjà existants », explique-t-il.
Netflix devrait aussi payer sa part de taxes, selon lui. Une somme qui permettrait d’investir dans le secteur culturel pour soutenir la production, mais aussi la diffusion. « Avec la pandémie, les temps sont difficiles pour les exploitants de salle qui tentent de survivre. Ces gens ne doivent pas être pénalisés par l’arrivée du bulldozer Netflix », insiste-t-il.
De son côté, Téléfilm Canada se réjouit de constater que les histoires et les cinéastes d’ici puissent rayonner dans le monde entier grâce à la plateforme, y voyant un « véritable accomplissement. » « Le succès du film Jusqu’au déclin offre une vitrine exceptionnelle pour les talents d’ici et la créativité canadienne dans son ensemble. »
Autopsie des habitudes de visionnement des Canadiens
Les drames coréens ont gagné en popularité en 2020 auprès des Canadiens qui en ont regardé deux fois plus que l’année précédente. En tête de liste : la saison 2 de la série Royaume (V.F. de Kingdom) et la série Le Roi : monarque éternel (V.F. de The King : Eternal Monarch)
Plusieurs films et séries inspirés de faits vécus ont trôné pendant plus de 30 jours chacun dans le palmarès des contenus les plus visionnés au pays. Parmi eux : Mariages instantanés, (V.F. de Marriage Story) La dernière danse, (V.F. de The Last Dance) Au royaume des fauves (V.F. de Tiger King) et Dossiers mystère (V.F. de Unsolved Mysteries)
Les thrillers ont été populaires auprès des Canadiens confinés, avides de sensations fortes, au moment où la pandémie de COVID-19 nous frappait de plein fouet. En mars, avril et mai, Ozark (saison 3), Mensonges et trahisons (V.F. de Dangerous Lies) ainsi que Inheritance ont été parmi les plus populaires.
Les émissions de cuisine ont passionné les Canadiens en avril, pendant que les épiceries étaient en pleine pénurie de farine. Les recherches pour trouver des émissions sur la pâtisserie ont augmenté de 81 % par rapport au mois précédent, tandis que les recherches pour des émissions de cuisine ont augmenté de 61 %.
Les productions internationales et non anglophonesont aussi trouvé une place de choix sur nos écrans. Les plus populaires auront été : La plateforme (V.F. de El Hoyo, Espagne), Barbares (V.F. de Barbaren, Allemagne), La maison de papier : saison 4 (V.F. de La Casa de papel, Espagne) et La Bête (V.F. de La Belva, Italie).