«La déesse des mouches à feu»: un lumineux chaos

Après avoir connu un indéniable succès sur le circuit des festivals — de Berlin à Giffoni, en passant par Québec —, le très attendu La déesse des mouches à feu, troisième long métrage de fiction de la talentueuse Anaïs Barbeau-Lavalette, atterrit enfin sur nos écrans.
En montant sur la scène du Cinéplex Odéon du Quartier latin, où se déroulait la grande première montréalaise du film lundi soir, la cinéaste a évoqué le courage que nécessitait le lancement d’une œuvre en temps de pandémie. « Mais il y a une beauté là-dedans, comme un rappel de ce que les humains, ces animaux parfois autodestructeurs, sont capables d’accomplir lorsqu’ils s’unissent et regardent dans la même direction. »
À fleur de peau
Et c’est effectivement tout un exploit que ce film à fleur de peau écrit par Catherine Léger. Plein de l’ardeur, de la fougue, de la prise de risque de l’adolescence, qui illumine avec audace les zones d’ombre et les dérives accompagnant la découverte sensorielle, étourdissante et chaotique du monde, les premiers émois amoureux et les premières blessures, la quête de soi.
Adapté du roman éponyme de Geneviève Petterson, La déesse des mouches à feu évoque l’adolescence tourmentée de Catherine (Kelly Depeault), 16 ans, dans un Chicoutimi secoué par le tumulte violent et spectaculaire du grunge des années 1990. Alors que ses parents (Caroline Néron et Normand d’Amour, tous deux sublimes) — deux êtres blessés et incapables de se parler — amorcent un processus de divorce, Catherine entame son exploration — ni douce ni romantique — du monde.
La caméra de Jonathan Decoste comme l’univers sonore épousent à la perfection les émois, les passages obligés, l’intériorité de personnages passant constamment d’un extrême à l’autre, se faisant hyperactive et étourdissante lorsqu’ils s’éclatent, attentive et lumineuse lorsqu’ils plongent dans l’univers de la drogue, nerveuse lorsqu’ils découvrent, dans une chorégraphie d’un réalisme touchant, leur sexualité, immobile et effacée lorsqu’ils souffrent.
Kelly Depeault porte le film sur ses épaules avec aplomb et offre une performance bouleversante dans le rôle de Catherine, laissant entrevoir les derniers éclats de l’enfance dans le regard aventureux et déterminé d’une jeune femme en quête de liberté et d’émotions fortes.
Le groupe de jeunes acteurs qui l’entourent n’est pas en reste, s’appropriant les dialogues pour mieux leur donner vie, donnant lieu à quelques anachronismes langagiers qu’on leur pardonne aussitôt.
Plus qu’un récit initiatique, c’est une pulsion de vie, dans toute sa poésie et toute sa dureté, que parvient à émuler Anaïs Barbeau-Lavalette. Elle voudrait choquer qu’elle n’y parviendrait pas, tant son regard est dénué de jugement, tant il laisse percer la lumière, tant il embrasse avec tendresse l’humanité et la fragilité qui émanent de la douleur et de la confusion. D’une grande beauté.