«I'm Thinking of Ending Things»: l'émouvant délire de Charlie Kaufman

Point de départ connu, mais destination merveilleusement incertaine pour le nouveau film de Charlie Kaufman, qui adapte ici un roman de Iain Reid.
Photo: Mary Cybulski/Netflix Point de départ connu, mais destination merveilleusement incertaine pour le nouveau film de Charlie Kaufman, qui adapte ici un roman de Iain Reid.

La caméra erre dans une maison déserte tel un spectre. Voletant dans la brise hivernale, des rideaux élimés laissent filtrer une lumière blafarde dans des pièces d’allure désuète. S’élève alors la voix d’une jeune femme dont le soliloque laisse percevoir un indicible mal-être. « Je songe à en finir », répète-t-elle, avant de se demander s’il s’agit là d’une pensée propre ou suggérée. Un questionnement qui reviendra la hanter lorsqu’elle trouvera, dans un vieux recueil signé par un autre, un poème qu’elle vient pourtant de composer, entre autres passages insolites vécus par la narratrice lors d’un aller-retour à la campagne en compagnie de son petit-ami Jake. Ce, afin de rencontrer les parents de ce dernier. Point de départ connu, mais destination merveilleusement incertaine pour le nouveau film de Charlie Kaufman, qui adapte ici un roman de Iain Reid.

Dans I’m Thinking of Ending Things (Je veux juste en finir, en V.F.), le scénariste de Being John Malkovich, Adaptation et Eternal Sunshine of the Spotless Mind, aussi réalisateur de Synecdoche, New York et de l’animation en volumes Anomalisa, entraîne à nouveau les cinéphiles à sa suite dans une plongée au plus profond d’une psyché tourmentée. Et « plongée » est bien le mot approprié, tant cette virée en voiture s’apparentera, pour l’héroïne, à la chute d’Alice dans le terrier du lapin.

Véritable flot de pensées fait film, I’m Thinking of Ending Things voit le prodigieusement doué auteur poursuivre une réflexion au long cours peuplée de personnages isolés dans leur tête et en proie à un sentiment d’aliénation croissant, voire carrément de dépossession de soi. Ainsi, hormis l’exemple du poème, l’héroïne se retrouve à un moment confrontée à des affiches reproduisant des tableaux d’un peintre apparemment connu, mais des tableaux, quoi qu’il en soit, qu’elle est convaincue d’avoir peints.

Une héroïne-palimpseste, à la fois poète et peintre donc, mais également physicienne, et à qui même le prénom échappe, celui-ci passant de Lucy à Louisa, puis à Amy. Ce, à l’instar de sa tenue vague, avec manteau et chandail changeant de couleur au gré des scènes. Et voici que l’on se remémore les teintures en série de Kate Winslet dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, film traitant de mémoires reconfigurées.

Entre Buñuel et Wood

 

D’ailleurs, I’m Thinking of Ending Things partage avec ce prédécesseur une atmosphère de grise mélancolie. En route vers la ferme des parents de Jake, l’amoureux qui écoute mais n’entend guère, « la jeune femme », dixit le générique, contemple le dehors figé avant de s’émouvoir devant « la beauté morne et décrépite » du paysage.

L’habitacle de la voiture s’avère pour le compte l’un des principaux lieux de l’action, théâtre à l’aller de la récitation du poème déjà évoqué et au retour, d’un déboulonnage senti du film A Woman Under the Influence propre à faire jubiler quiconque n’est pas chantre du cinéma de John Cassavetes.

Sans surprise, c’est davantage du côté des surréalistes, de Luis Buñuel surtout, que reluque I’m Thinking of Ending Things. Lorsque les événements prennent une tangente résolument bizarre chez les beaux-parents, on se dit que, si le réalisateur du Charme discret de la bourgeoisie s’était un jour inspiré du tableau American Gothic de Grant Wood (la fermière austère et le fermier à la fourche), ç’aurait pu donner un film approchant. Dans ces rôles, oui, surréalistes, David Thewlis et tout spécialement Toni Collette (est-elle capable d’autre chose que de tours de force ?) sont FA-BU-LEUX.

Pas en reste, Jessie Buckley et Jesse Plemons impressionnent dans un registre plus intériorisé, mais très expressif néanmoins.

 

Quant à la mise en scène, on mentionnait d’entrée de jeu la caméra : sans surprise, la virtuosité est au rendez-vous. En trois réalisations, Charlie Kaufman a atteint une maîtrise technique rivalisant avec celle des Spike Jonze et Michel Gondry, qui ont si brillamment porté ses premiers scénarios à l’écran.

Preuve supplémentaire de la valeur du film, on a envie de le revoir sitôt terminé tant l’ensemble est riche, stimulant, émouvant même… I’m Thinking of Ending Things est une œuvre, c’est approprié, qui obnubile.

I’m Thinking of Ending Things est disponible dès maintenant sur Netflix.

I’m Thinking of Ending Things (V.F. : Je veux juste en finir)

★★★★ 1/2

Drame fantaisiste de Charlie Kaufman. Avec Jessie Buckley, Jesse Plemons, Toni Collette, David Thewlis, Guy Boyd. États-Unis, 2020, 134 minutes.