Retour en force à la Cinémathèque

La chaise de l’actrice Elizabeth Taylor pour «Raintree County» (1957), un don de Normand Houle, fait partie de l’exposition «Allons aux vues» à la Cinémathèque.
Photo: Marie-France Coallier Le Devoir La chaise de l’actrice Elizabeth Taylor pour «Raintree County» (1957), un don de Normand Houle, fait partie de l’exposition «Allons aux vues» à la Cinémathèque.

Fermée comme la majorité des commerces et des établissements durant la pandémie, la Cinémathèque québécoise n’a pas été exempte d’activité pour autant durant le confinement. En témoignait, mardi, le dévoilement des grands pans d’une programmation des plus alléchantes qui verra des rétrospectives consacrées à Bong Joon-ho, Federico Fellini et David Cronenberg, entre autres. Or, la Cinémathèque est aussi l’hôte d’expositions ainsi qu’un lieu d’échanges. Survol.

« Faire connaître le patrimoine cinématographique québécois et international fait partie de notre mission. Mais au cœur de celle-ci, il y a aussi la défense du cinéma sur grand écran, et je dirais que c’est ce qui a le plus souffert durant la période de confinement », a déclaré le directeur général, Marcel Jean.

Qu’on aime ou pas l’expression « à quelque chose, malheur est bon », celle-ci s’applique à la Cinémathèque, qui a profité de la crise pour restaurer de nombreux films, dont des œuvres clés du cinéma féministe : Le film d’Ariane, de Josée Beaudet, et Les marchés de Londres, de Mireille Dansereau, sont du lot. On a indexé, catalogué, bonifié…

Faire connaître le patrimoine cinématographique québécois et international fait partie de notre mission. Mais au coeur de celle-ci, il y a aussi la défense du cinéma sur grand écran.

 

« La programmation [de films] est la pointe de l’iceberg de nos activités, a rappelé Marcel Jean. Sous cette pointe, il y a tout le travail de documentation qui nous permet d’avoir des collections qui sont préservées. Sauf que la préservation n’est jamais [terminée] tant que l’accessibilité n’est pas assurée. Préserver une œuvre, c’est aussi la rendre accessible d’une manière ou d’une autre. C’est un travail qui se poursuit toujours à la Cinémathèque, mais auquel on a pu consacrer davantage de temps et d’énergie qu’à l’accoutumée à cause du confinement. »

Rétrospectives et cycles

 

Dès la mi-septembre, on pourra voir tous les longs métrages du cinéaste Bong Joon-ho, plébiscité aux Oscar cette année avec sa virtuose satire Parasite. Organisée de concert avec l’Institut culturel coréen, cette rétrospective sera l’occasion d’apprécier sur grand écran des films moins célèbres, mais tout aussi brillants que ce plus récent, dont Memories of Murder et Mother.

La saison automnale sera également celle de Robert Morin, qui aura droit à un cycle inspiré par le récent confinement avec des films en huis clos comme Le voleur vit en enfer, Quiconque meurt, meurt à douleur ou encore Petit Pow ! Pow ! Noël. Ledit cycle s’accompagnera d’une rétrospective de l’œuvre photographique du cinéaste.

Initialement prévue pour le printemps dernier, la toute première rétrospective consacrée au cinéaste Claude Gagnon devrait pour sa part se tenir cet automne. « Dès les années 1970, Claude Gagnon s’est démarqué en réalisant son premier long métrage au Japon [Keiko], où il a remporté le prix de la critique japonaise : ce n’est pas rien. Son œuvre demeure actuelle dans ses thèmes, comme celui de l’homosexualité, de la question autochtone avec Visage pâle, de la place qu’on fait en société aux personnes atteintes d’un handicap avec Kenny [ou The Kid Brother], peut-être son film le plus connu », a expliqué le directeur de la diffusion et de la programmation, Guillaume Lafleur, précisant que l’idée est d’arrimer la rétrospective à la sortie du nouveau film de Claude Gagnon, Les vieux chums, attendu cet automne.

En fin d’année, et temps fort à n’en pas douter, une rétrospective de l’œuvre de Federico Fellini sera organisée à l’occasion du centenaire du cinéaste italien. Tous les longs métrages du maestro seront projetés grâce à la collaboration de la diplomatie culturelle italienne. Certains courts en seront, mais pas tous : question de droits, par exemple, lorsqu’il s’agit de longs métrages constitués de courts de plusieurs cinéastes comme Boccace 70 ou Histoires extraordinaires.

Plus tard, en janvier, un cycle David Cronenberg s’installera à demeure en compagnie d’une installation pluridisciplinaire signée Sabrina Ratté, intitulée House of Skins et s’inspirant des mutations et fluides divers présents dans des films du cinéaste comme Scanners, Videodrome, The Fly ou Existenz.

Expositions et futur

 

En ce moment, quatre expositions gratuites sont proposées. Une sélection d’affiches d’époque, Icônes d’un âge d’or, revient sur les sex-symbols des années 1950 et 1960, hommes et femmes, de Rita Hayworth à Brigitte Bardot en passant par Marilyn Monroe, de Clark Gable à Elvis en passant par Marlon Brando. Avec Allons aux vues, c’est une collection d’affichettes, ou lobby cards, revit l’époque révolue où la promotion des films passait par ces souvent fort jolis cartons évoquant la teneur du film, voire une scène de celui-ci.

Dans Excursion dans les collections : l’image à la maison, l’évolution des appareils optiques à vocation commerciale, de la lanterne magique aux caméras modernes, est présentée avec divers spécimens. Enfin, l’installation vidéo Rumba Spaces, des artistes David N. Bernatchez et Sammy Baloji, célèbre la rumba congolaise.

À noter que, hormis ces rétrospectives, cycles et expositions, la direction de la Cinémathèque entend pour l’heure monter des programmations un mois à la fois, histoire de se donner de la latitude et de voir venir.

« La Cinémathèque se porte bien », a assuré Marcel Jean. En effet, bien que les festivals ne louent pas ses salles et que le nombre de billets qu’il lui est désormais possible de vendre soit restreint, la Cinémathèque peut compter sur ses subventions habituelles. Et il y a les revenus locatifs et ceux qui sont issus des activités institutionnelles.

« En fait, a conclu Marcel Jean, ce qui me préoccupe, c’est l’avenir de l’écosystème du cinéma dans son ensemble… Là, ça va, mais qu’en sera-t-il en 2025 quand les gouvernements devront gérer d’importants déficits ? » 

Une collection russe

L’un des très beaux coups réalisés par la Cinémathèque durant le confinement est l’acquisition d’une collection majeure. D’expliquer Marcel Jean : « Il s’agit du fonds de films soviétiques et d’Europe de l’Est de François Lemai. François Lemai est un collectionneur québécois très connu, et très important — suffisamment important pour que l’Université Laval consacre un colloque à sa collection. »

 

Figurent dans le lot des incontournables comme Quand passent les cigognes, de Mikhaïl Kalatozov, Le repentir, de Tenguiz Abouladzé, Va et
regarde
, d’Elem Klimov…

 

« Ce sont des copies 35 mm issues de l’époque du Ouimeto-scope, qui organisait souvent des festivals de films soviétiques […] Cette collection s’est promenée avant que François Lemai l’acquière il y a une dizaine d’années. Ce sont des films sous-titrés en français, il s’agit donc de copies très rares, qui ont une grande valeur. » Présenté vendredi et samedi, Vij, de Constantin Erchov et Gueorgui Kropatchev, un film d’épouvante d’un baroque sublime, est l’un d’eux.


Des publications

Au rayon des publications associées à la Cinémathèque paraît cette semaine l’ouvrage X P Q : Traversée du cinéma expérimental québécois, un livre collectif dirigé par Guillaume Lafleur et le collègue Ralph Elawani, où sont évoquées en entretiens, analyses et documents parfois inédits (telle cette lettre de Claude Gauvreau) plus de 75 années d’avant-garde d’ici.

 

Par ailleurs, la revue Blink Blank, coéditée par la Cinémathèque québécoise et première publication dite « régulière » en langue française entièrement dévolue au cinéma d’animation, publiera en octobre son second numéro.

 

Du côté de la Cinémathèque, on a fait valoir un désir de pu-blier davantage afin que le dialogue entre le cinéma et les cinéphiles se poursuive hors ses murs.

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