«Chambre 212»: fenêtre sur couple

Pour qui ne connaîtrait pas encore la manière Christophe Honoré (Plaire, aimer, et courir vite, Les chansons d’amour, La belle personne), Chambre 212 en est une illustration éloquente. Une fois de plus, il tricote un marivaudage sophistiqué, le tout sur un ton résolument franchouillard, pour ne pas dire vachement parisien.
Sans compter que ce cinéaste cinéphile tapisse son dernier film de références en tous genres, aussi bien tirées de l’univers d’Orson Welles (un bar du quartier se nomme Rosebud !) que de François Ozon (le couple au cœur du récit habite au-dessus d’un complexe de salles, sept évidemment !, avec à l’affiche Grâce à Dieu). Ces citations se retrouvent emmêlées à une véritable fantasmagorie où se bousculent fantômes et souvenirs, mais d’une manière quelque peu inusitée : certains personnages se dédoublent, dans une version rajeunie d’eux-mêmes.
Ce n’était pas ce à quoi Maria (Chiara Mastroianni, une habituée chez Honoré), professeure de droit, s’attendait en décidant de s’installer pour la nuit dans un hôtel situé juste en face du domicile conjugal. Prise en flagrant délit d’infidélité, chose normale selon elle pour un couple ayant 20 ans d’usure, et Richard (Benjamin Biolay, qui autrefois partageait sa vie avec celle de sa partenaire de jeu) encaissant mal la révélation, Maria est forcée de prendre la poudre d’escampette, simplement en traversant la rue.
Pour cette femme dont on apprendra vite, et en détail, l’effervescence de ses aventures extra-conjugales (l’héroïne croqueuse d’hommes d’Une histoire inventée, d’André Forcier, se reconnaîtrait ici), le meilleur est à venir puisque dans la chambre 212, véritable labyrinthe de réminiscences, une version juvénile de Richard surgit de nulle part (Vincent Lacoste, toujours plus loin de son profil adolescent), suivi de celle d’Irène (Camille Cottin, dans un beau registre plein de gravité), sa professeure de piano qui, jadis, fit de lui son jeune amant. S’amorcent alors des échanges et des va-et-vient, des deux côtés de la rue et même au-delà, pour tenter de comprendre ce qui se cache derrière leurs silences et leurs trahisons.
Comme toujours chez cet indécrottable romantique nostalgique qu’est Christophe Honoré, les chansons prennent une part importante dans l’élaboration de cette toile de vérités et de mensonges. Comme autrefois chez Éric Rohmer (L’arbre, le maire et la médiathèque), il aimait faire chanter ses acteurs, mais heureusement, y a vite renoncé. En lieu et place, la trame sonore tapisse l’espace cinématographique avec mélodies accrocheuses et interprètes emblématiques, de Charles Aznavour (Désormais) à Barry Manilow (Could It Be Magic), autant de drapeaux agités pour illustrer les travers ou les tentatives de réconciliation de ce quatuor amoureux se moquant de l’espace et du temps.
Christophe Honoré aborde cet univers en se donnant parfois des allures d’Alfred Hitchcock, filmant la sexualité débridée de ses personnages avec un soupçon de voyeurisme, posture accentuée par la curiosité de Maria à épier les allées et venues de Richard. Lui, parfois prostré, tétanisé par l’absence de celle qu’il aime encore, déambule devant ses fenêtres tout en ignorant qu’il est sous haute surveillance.
Au fond, l’est-il vraiment ? Chambre 212 (le chiffre souligne aussi un article du Code civil sur les droits mutuels des époux), c’est surtout un vaste espace mental dans lequel Honoré s’amuse à rebrasser ses thèmes de prédilections avec sa famille d’acteurs dans une forme à la fois concise et iconoclaste. On songe même à Bertrand Blier lorsque surgit, trop brièvement, Carole Bouquet, autre vision insolite de la trajectoire sinueuse de cette étrange faune sentimentale. Parfois très à l’étroit dans cette énigmatique chambre d’hôtel.